Page:Rachilde - L’Homme roux, suivi de La Fille de neige, 1888.djvu/18

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elle savait plaire, tandis que moi je ne savais qu’aimer.

La préférence que l’on donnait à Madge ne me rendit pas jalouse, mais elle me rendit réservée. L’amour des parents est la sauvegarde des enfants ; moi, qui ne possédais pas cet amour, je me fis sage pour me garder moi-même. La sagesse, je suis forcée de le dire, est un perpétuel déboire. Parce que j’étais sage, on comprit que le peu devait être mon lot. Le travail, la persévérance, la tranquillité, la bonne humeur devaient être mes attributs.

Quand on n’est pas passionné, on ne doit pas avoir besoin de passions. Je l’avoue, la contrainte que je me suis imposée, mon penchant affectueux que j’ai réprimé, ont peut-être produit en moi la curiosité de connaître aussi les élans qu’ont eus les autres. Un jour, je me suis réveillée de ce long sommeil, sommeil qui a duré pendant la plus belle partie de ma vie. Puis j’ai découvert en mon âme une mauvaise passion…

Mais revenons à mon récit.

Madge, à l’époque de mon mariage, avait seize ans ; c’était une enfant étrange, pourtant