Page:Rachilde - La Jongleuse, 1900.djvu/244

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retrouve, j’en ai jeté les débris de côté, et je tâche de n’y plus penser.

Mais je pense à vous, je pense à toi. Mon Dieu, comme vous êtes passé tard devant ma porte ! Que faisiez-vous donc ?

… Oui vous êtes passé très tard devant ma maison, ma pauvre maison vide, Monsieur et cher amant ! Songez que j’attendais depuis l’aube, le corps penché sur la fenêtre, regardant de tous mes yeux ceux qui arrivaient, ceux qui s’en allaient, me disant à chaque passant nouveau : « Ce n’est pas lui, car il n’a pas les ailes d’Éros, je ne le connais pas, moi, la prêtresse d’Éros, il ne m’a pas fait le signe mystérieux ! » Et le soir est venu après les jeunes hommes, les passants se sont espacés, une odeur amère est montée de la vallée jusqu’à moi, l’odeur des verdures qui se replient et rendent leurs âmes dans l’agonie du jour, le crépuscule a enveloppé les collines d’un voile bleu… violet… noir… la nuit !

Alors, comme la première étoile s’allumait pareille à l’œil d’Éros, douce et cruelle, d’une clarté de lame qui perce, vous êtes enfin arrivé, vous promenant du côté de ma maison, bien par hasard. Était-ce la lueur de l’étoile ou ma lassitude de vivre dans une maison qui s’emplissait d’ombre, j’ai cru que j’avais vu