Page:Rachilde - La Jongleuse, 1900.djvu/314

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d’ivoire, sa bouche rouge aux rides accentuées, plus tragiques.

Et Léon Reille, bâillant un peu, s’accouda, la regardant jongler sans trop d’étonnement, parce que, ce cauchemar, il l’avait eu bien souvent, et cela lui paraissait naturel de la trouver à la fois toute nue couchée près de lui, et debout devant lui, jonglant en maillot de soie noire.

Il ne comprit absolument que lorsque l’autre Éliante, réveillée à son tour par le cliquetis des couteaux, poussa un cri aigu, un cri d’indicible terreur enfantine. Alors il bondit, voulut s’échapper des bras de Missie, qui se cramponnait à lui, affolée.

— Éliante ! Éliante ! râla-t-il se tordant de douleur et de honte. Un couteau pour moi… je ne peux plus vivre ! Un couteau pour moi…

Éliante, toujours impassible, mit un genou en terre et levant ses yeux d’inspirée, joyeuse d’une joie surnaturelle, lança très haut son beau couteau de jongleuse… mais au lieu de retirer la tête, de présenter la poitrine, elle changea d’exercice, tendit la gorge. Le couteau, plus lourd, venant de plus haut, se planta droit, et ses petits doigts puissants l’y enfoncèrent, appuyèrent de toutes leurs forces, crispés sur le manche d’ébène.