Page:Rachilde - La Jongleuse, 1900.djvu/72

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chercher une fiole de liqueur des îles et grondait la servante le long des corridors, le jeune homme, n’y tenant plus, posa une question brûlante :

— L’aimiez-vous, ce mari ?

Elle baissa un peu la tête.

— Il avait quarante ans, moi dix-sept. Je sortais d’un couvent, d’une maison triste pour entrer dans une maison triste : un grand vaisseau noir roulant à travers les océans les plus dangereux. J’ai vu et entendu des choses terribles dans ce bateau ! La fenêtre de ma chambre à coucher, un nid magnifique d’étoffes et de fourrures, n’avait pas cinquante centimètres d’ouverture sur la mer. Je n’y respirais jamais à mon aise, et quand je descendais à terre, le soleil me faisait mal, j’entendais des accents gutturaux qui m’épouvantaient. Revenus en France, c’était tout le temps des réceptions officielles, des dîners solennels… et on repartait sans savoir pour où. Mon mari mort, il me sembla que le mur du couvent croulait… mais sur moi… car il avait une famille pauvre : son frère, Missie ; j’étais riche, je lui devais toute ma fortune et, n’ayant pas d’enfant, il fallait bien accueillir mes parents, vivre encore… prisonnière… La famille, voyez-vous, c’est le demi-deuil quotidien ! Chut ! Ne me répondez-pas. Missie vient de rentrer.