Page:Rachilde - Le Meneur de louves, 1905.djvu/136

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tence s’écoulait entre les murs qui nous emprisonnent, ô mes sœurs, tout autrement qu’aujourd’hui. L’abbesse Radegunde, que Basine et moi nous avons eu la joie de connaître, maintenait ou modifiait la règle de notre ordre selon les besoins de la chair ou les désirs du cœur. Elle disait à ses nonnes : « Vous que j’ai choisies, mes filles ; vous, jeunes plantes objets de tous mes soins ; vous, mes yeux, vous, mon repos et tout mon bonheur. » Elle n’ordonnait pas, ne nous menaçait pas, elle priait. Fortunatus, son ami, son directeur et son confesseur, l’exhortait de son côté aux délices de la table, lui permettait le vin à elle et à sa jeune parente Agnès. Si elle n’en voulait point user pour elle-même, en ayant vu trop boire à la cour de son époux, elle invitait son clergé, les nobles pèlerins de passage, ses serviteurs favoris, à des festins dont nous ignorons jusqu’à l’odeur, car des feuilles de roses, une mode romaine, couvraient la nappe de ses repas et, loin de proscrire la vaisselle de poterie, elle offrait à ses convives les mets les plus rares dans des plats de jaspe ou d’argent. Voilà ce que vous ne saviez pas, mes sœurs !… Ce monastère n’a jamais été créé pour devenir notre cachot, mais pour procurer à de nobles élues tous les plaisirs permis sur la terre en attendant de leur