Page:Rachilde - Le Meneur de louves, 1905.djvu/61

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La bête énorme et solidement musclée se ramassa sur ses jarrets, parut tout d’un coup en boule comme un gros hérisson gris. Se roulant, se vautrant, elle fit jaillir des gerbes de plumes, des bouquets de perles ; griffant la neige et la fouillant du museau, elle s’en revêtit, s’en couvrit, sans doute pour se dissimuler mieux dans un ravin à l’affût de l’homme qui ouvrirait une porte.

La ville de Poitiers, s’entourant de hauts rochers, avait l’aspect d’un vaisseau sur la mer au printemps, quand les moissons vertes ondulaient à perte de vue et que la vague, crêtée des fleurs de ses forêts, déferlait à son flanc gauche, lui jetant de sauvages arômes, le goût plein d’amertume des troènes, des ronces ou des pins ; mais cet hiver-là les gorges, les ravins, les fossés, les douves, tout se comblait de neige, d’épaisse neige irradiant des feux roses à l’aurore de ce Noël, et Poitiers ne voguait plus, ses rivières prises se confondaient avec ses routes encaissées entre les tronçons de ses bois. Le vaisseau semblait définitivement à l’ancre sans mâtures et sans voiles.

Le loup examinait la situation, ses oreilles pointées, le museau tendu, l’œil rougeoyant. Donner l’assaut à tout une ville était bien l’affaire d’une bête de sa race que l’appétit rendait folle. Cepen-