Page:Rachilde - Les Hors nature, 1897.djvu/108

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le songe d’Athalie ; j’ai envie de l’étrangler !… Bravo ! Bravo ! Jane, je suis très content !

Et, se penchant au rebord de la loge, Paul envoya des baisers à la jeune fille, laquelle, fière de son approbation ironique, reprit la phrase sur un ton de mélodrame à la Crossac.

— Enfin, quoi ? disait Reutler étourdi par la verve méchante de son cadet. Est-ce que cela t’amuse ou est-ce que cela t’ennuie ? Retire la pièce ! Tu en as tous les droits.

— Et mon émotion de première ? J’y compte ! C’est mon bénéfice d’auteur anonyme. Je le veux ! J’y tiens ! À dix-neuf ans, une émotion de première, ce n’est pas banal. Puis, je ne mérite pas davantage.

— Toujours tes orgueilleuses modesties ?

— Sincèrement, est-ce bon ?

— Ce n’est pas ce que tu feras plus tard, tu es encore jeune, Éric, et tu mettras du vin pur dans ton eau de roses !

— Non, Reutler, je ne ferai jamais rien de pur, ou de forme ou de fond, car je n’aimerai jamais rien purement, ni maintenant ni plus tard.

Et la voix dure de Paul s’éteignit dans une sorte de hoquet sanglotant, peut-être un rire.

Ce jour-là, les deux frères se retirèrent avant la fin de la répétition.

L’émotion de première que le jeune homme désirait, il l’eut, sinistre et atrocement perforeuse de moelles, beaucoup plus dramatique, certes, qu’il n’osait la rêver.

Lé soir du début, Paul s’appuyait sur le bras de Reutler dans les coulisses. Ils étaient tous les deux