Page:Rachilde - Les Hors nature, 1897.djvu/18

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Il se saisit d’une houppe à poudrer, l’employa sans aucune expérience et s’enfarina les joues.

— Je manque de métier, s’avoua-t-il, boudant. Nous implorerons une dernière leçon de la comtesse Geneviève.

Il jeta la houppe.

— Des rides, à dix-huit ans, reprit-il de très mauvaise humeur, non, c’est trop bête ! Des rides de vieux penseur, moi qui voudrais tant ne penser à rien !

Des draperies s’écartèrent ; Jorgon, rentrant, s’effaça pour laisser passer un homme d’une trentaine d’années, encore plus grand que lui.

Cet homme était vêtu d’une, redingote fermée, sorte de soutane courte, qui l’enveloppait hermétiquement, faisant sa silhouette austère. Il paraissait souffrant, malgré son attitude calme ; son visage était blême et sa bouche frissonnait nerveusement sur ses dents serrées. Il avait des yeux d’eau noire, des yeux sans regard direct, mais si larges, sous leur sourcil placé haut dans le front, qu’il semblait voir par tout son visage et non par des prunelles fixées à un endroit précis.

Il s’arrêta une seconde sur le seuil du cabinet de toilette, élevant devant lui sa main ouverte comme pour protéger une flamme.

— Éric, dit-il d’une voix grave, un peu sourde, c’est ridicule de t’adoniser ainsi.

Et découvrant ce qu’il portait, il lui montra un brin de muguet dont les clochettes tremblotantes étaient, par miracle, d’un rose idéalement tendre.

Éric poussa un véritable miaulement de joie, sauta sur la fleur.