Page:Rachilde - Les Hors nature, 1897.djvu/20

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machinal qui semblait ciseler peu à peu sur sa bouche de grand taciturne un sourire de gaieté inexplicable. Sa tête puissante se cintrait, des deux côtés des tempes, de deux lignes elliptiques pour laisser naître une pointe de cheveux au centre du front, et ses yeux larges s’auréolaient comme de deux halos sous leur double courbe de poils noirs.

Sa toilette terminée, Reutler vint se poster contre la glace, tournant le dos à son image, qu’il jugeait hostile, et contempla vaguement, au-dessus de son frère, le vase vénitien rempli de mimosa.

— Jorgon, demanda Paul, cherche-moi trois boutons de rubis.

— Monsieur renonce à ses perles ?

— J’en ai brisé une… par mégarde, répondit dédaigneusement le jeune homme.

— Ou… sous un coup de marteau, fit l’aîné dont le regard vague scrutait, cependant, les plus minimes détails.

Paul se mit à rire.

— On ne peut rien te cacher. Soit, je l’ai brisée volontairement. Je voulais savoir si c’était solide.

— Une jolie sensation, pas ?

— Charmante. Comme un petit craquement d’œil de poisson frit sous la dent, mon cher.

— Des yeux de poisson frit à mille francs la paire ! Un peu ruineuses, les sensations de mon cadet !

Paul de Fertzen eut une moue.

— Le défaut de ton système d’éducation, Reutler. Tout approfondir d’un seul coup, fût-ce d’un coup qui broie, pour aller plus vite à la sagesse.