Page:Rachilde - Les Hors nature, 1897.djvu/211

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Reutler eut un mouvement de folie.

— J’y vais ! cria-t-il, et d’un bond il fut sur l’extrême bord du rocher.

Cela pourrait être simple, maintenant ; il simulerait le vertige en étendant le bras, roulerait, s’ensevelirait, et le malheureux, frappé de cette mort horrible qu’il aurait causée, serait guéri, ébloui à jamais, comprendrait toute l’immensité de l’amour, sortirait un homme de l’épreuve… Mais comme Reutler se retournait pour le voir une dernière fois, il aperçut, dans le visage désespéré de son enfant, un masque de vieux, une figure anguleuse crispée, en un rictus infernal et pénible, le rictus de ceux qui vont se survivre et décomposer une passion presque noble en une multiplicité de petits gestes séniles ; la face douloureuse de la faiblesse dans le désespoir et les mains nerveuses, les belles fines mains, eurent des torsions sinistres vers lui, le déjà disparu.

Reutler atteignit la plante, la cueillit et remonta de son abîme à la lumière, essayant de rire.

— Une fois n’est pas coutume ! Je te passe une fleur… pour qu’un jour tu me passes une femme ! gronda-t-il en tendant l’edelweiss au jeune homme.

Paul reprit son aplomb, sa froideur correcte, tout en glissant la tige sous le revers de son veston.

— De quelle femme veux-tu parler, mon cher ? Tu es lourd d’énigme, aujourd’hui, questionna-t-il, en apparence très indiffèrent.

— Je m’exaspère de nous voir si sérieux ; Paul, tiens, prends mon bras, car tu es malade… tu as la fièvre depuis cinq minutes, pourquoi le dissimuler ? Moi, je crois que j’ai trouvé une idée excellente. Je