Page:Rachilde - Les Hors nature, 1897.djvu/213

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— Tu as l’annulaire coupé ! de quel doigt porteras-tu l’alliance ?

Reutler s’interrompit, frissonnant. Dans son duel avec le slave, il s’était fait mutiler cruellement, cherchant une mort que le prince Stani, un fort galant homme, ne voulait pas du tout lui donner, et un chirurgien, pour éviter de dangereuses complications, avait retranché le doigt, en même temps supprimé la bague de Jane, cette opale sertie dans une chevalière d’or mat que personne ne devait plus souiller de sang. Rentier blêmit.

— Tu as raison ! dit-il, se rappelant l’affreuse minute où l’acier fouillait sa pauvre chair meurtrie, toujours si prompte à se tendre à la souffrance. Je ne peux pas me marier… Je t’ai défendu. Je dois te défendre encore.

— Tu m’as déshonoré ! cria le cadet se dressant. Tu m’as enlevé le droit d’être un homme, tu m’as volé à moi-même. Je ne reviendrai jamais à Paris ! Je ne serai jamais Français ! Oh ! je ne veux plus vivre que pour me venger de ta main, j’ai horreur d’elle !

Reutler, n’en pouvant plus, sortit du salon. Il savait si bien de quelles haines se forme l’amour.

Reutler cherchait l’issue et sérieusement il avait eu l’idée d’un mariage, non pour perpétuer sa race, maudite entre toutes, mais pour distraire le tigre, lui jeter, en pâture, un cœur qui serait un peu le sien. Découragé, il pensa que ce supplice ne les séparerait guère, et qu’entre eux, si rapprochés, ils écraseraient bien inutilement une nouvelle victime.

D’attendre une solution fournie par le hasard on