Page:Rachilde - Les Hors nature, 1897.djvu/215

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de séminaire ?… Quel genre de filles as-tu fréquenté ?

— Oh !… Une maîtresse, une femme ! murmura l’aîné, c’est-à-dire mon inférieure… Toute communion cérébrale exige l’égalité entre les deux communiants. Je n’ai jamais eu de maîtresse, Paul, digne de ce nom.

— Tu me trompes !… Ah ! nos constantes communions d’idée… elles sont jolies. Tu sais tout ce que j’ai fait depuis ma naissance, moi j’ignore toute ta vie d’adolescent.

— Est-ce que jamais l’expérience de l’un peut servir de morale à l’autre ? Éric… mon petit Éric, abandonnons ce sujet.

— Ne me regarde pas de ton regard fixe, Reutler. Je te dois tout, oui, c’est entendu ! Tout, jusqu’à la naissance. Et je te devrai la gloire, car tu me disputeras l’orgueil de mes créations, tu me fais poète et tu n’es pas poète… tu n’es qu’un jongleur ! Je souffre ce soir, comme je n’ai jamais souffert ! Tu as tort, grand tort de me dissimuler des choses…

— Te dissimuler quoi ! Voyons, mon Éric, du calme.

Paul sortait de sa léthargie. Une étrange surexcitation le rendait fou à crier son délire. Il brassait l’atmosphère de petits gestes saccadés et, du ton volontaire d’un être malade, il s’exclama :

— Non ! Il me plaît d’insister. Je me trouve de taille à ouïr l’histoire d’un homme. J’ai vingt ans.

— Je suis heureux, donc… pas d’histoire, Éric ! soupira Reutler. Du reste je n’ai aucun compte de cœur à te rendre.