Page:Rachilde - Les Hors nature, 1897.djvu/236

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blonds qui traînaient. Certes, il devenait très inutile de tuer cela, c’était mort depuis longtemps. Ce corps-là, ce n’était plus personne, aucune volonté ne l’habitait plus, sinon le désir d’atteindre à l’idéal du cynisme…

Au fond de la ruelle blanchie par les clartés, un petit âne, attelé entre les énormes brancards d’une charrette chargée de tout le mobilier d’une maison, demeurait écrasé sous le fardeau, s’étranglait à tirer sur son collier de misère. On l’avait oublié. Le dos tourné aux flammes, ne voyant pas plus loin que l’ombre démesurée de ses oreilles, il lui venait quelquefois l’idée absurde de braire, ce qui augmentait le tapage universel et l’étranglait bien davantage.

Reutler déposa Paul, ranimé, sur un monceau de ruines pour aller détacher le petit âne.

— Comme je voudrais être bon ! sanglota le cadet, courant se jeter dans les bras de Reutler.

— Mon frère ! mon frère chéri ! soupira l’aîné, vaincu par cette réaction nerveuse qui lui sembla de l’émotion.

Et il s’oublia jusqu’à lui donner des conseils, de son ton sourd de philosophe qui admet tout, même la naïveté des caresses.

— Pour être bon, apprends d’abord à être indifférent. Les enthousiastes perdent le monde parce qu’ils ne savent ce qu’ils font. Oui, mon bien-aimé, je suis jaloux de notre honneur, et je pense avoir la force… de rester un imbécile, en attendant la mort des dieux !…

Furtivement, ils reprirent leurs chevaux dans la cour de l’auberge. Au milieu du tumulte des