Page:Rachilde - Les Hors nature, 1897.djvu/332

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les bois de Rocheuse menant en laisse l’héraldique sloughi de Reutler.

— Jorgon, dit doucement le jeune homme, j’y vais… c’est Marie qui veut, comprends-tu ?

— Non, Monsieur Paul, je ne comprends plus rien, je sens que je deviens fou, moi aussi. En tous les cas, à la première scène je pourrai toujours me faire bâtonner pour vous.

Paul se mordit les lèvres. Il alluma un londrès, laissant, sur sa table de toilette, ses fameuses cigarettes de thé.

— Mica, dit-il à voix basse, tu vas me suivre et tu écouteras aux portes. Quand une femme est témoin, on a toujours de l’aplomb.

— Monsieur, riposta Marie nerveusement, je retourne à la cuisine. J’en ai assez de jouer avec une poupée plus grande que moi. Bonsoir !

Et elle sortit.

D’un pas incertain, Paul se dirigea vers la chambre de son frère, une chambre vaste, un peu morne, meublée de meubles antiques, où le lit, à colonnes torses, avait la forme d’une tombe. Quand il fut sur le seuil, il eut un frisson maladif, ses dents claquèrent.

— Je sais qu’il m’aime et je sais qu’il me tuera !… Mourir tout de suite ? Non ! Encore l’effort d’un masque ! Je veux vivre et il me le faut vivant.

Concentrant toute sa volonté dans un geste, il écarta la lourde portière de velours noir, une draperie de deuil voilant le grand jour de cette chambre sans rideaux. Il marcha, très droit, très calme, ne perdant pas un pouce de sa taille charmante, ordinairement ployée.