Page:Rachilde - Les Hors nature, 1897.djvu/340

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nappes à coups de couteau… C’est la loi des éternels raccommodages que j’invoque pour vous garder. Habillez-vous dorénavant, Marie, comme une jolie femme que vous êtes et non comme une petite servante. Vous possédez les clefs de Rocheuse. Quand nous irons à Paris, vous nous suivrez. Là aussi, je troue les nappes ! Je ne m’occupe plus de vos gages… dépensez sans compter, petite sœur !

Durant qu’il parlait de sa voix un peu âpre, ironique, se passionnant sur certains mots affectueux, la petite servante s’éloignait de la table, folle, ivre, les yeux dilatés, elle s’assit, pour ne pas tomber, elle pencha la tête, d’abord très rouge puis blanche comme une cire.

Reutler se leva.

— Vous savez, Éric, de quelle manière on fait revenir les femmes, vous qui vous évanouissez quelquefois ! Je vous laisse, mon cher enfant… et je compte, sur toute votre délicatesse. Bonne chance !

Paul, demeuré seul, pelait tranquillement sa pêche. De temps en temps il coulait un regard, entre ses cils baissés, du côté de la jeune fille immobile.

— Si j’avais une très longue épingle, songeait-il, une épingle d’or, voire même d’acier, je l’enfoncerais dans sa cervelle au bon endroit, je lisserais, dessus, une de ses boucles, j’appuierais d’un baiser chaste et je raconterais au baron Jacques-Reutler de Fertzen que la joie ça tue les incendiaires… C’est bien gênant, d’être faible, et de ne pas pouvoir pousser le sadisme plus loin que l’intellectualité !