Page:Rachilde - Les Hors nature, 1897.djvu/69

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nature de résister désespérément à ses instincts… et même d’essayer de les transmuer en nobles résultats ! Qui trompe-t-on ? Et tôt ou tard cela n’engendre-t-il pas des crimes moraux plus graves, Selon l’éternité, que les crimes physiques, selon l’époque ? Combien de lois sont basées sur le désir secret d’honorer un vice de légiste… Je crois que nos volontés nobles nous font à tous bien du mal ! (Il reprit, plus vivement :) Oui, cette femme est une goule ! N’a-t-elle pas assassiné moralement cinq ou six beaux jeunes gens sous le spécieux prétexte de l’espionnage, elle, la grande espionne diplomatique ? Elle représente une jolie réduction de la colossale statue carnivore. Toujours Irminsul à qui l’on jette des petits enfants pour attiser son feu flambant en l’honneur du dieu des guerres. Une jolie réduction… hum !… les jambes puissantes d’un soldat et la toute petite tête d’une Sapho ! Chez elle, ça commence par du sirop de myosotis et ça finit par les menstrues…

Paul s’était essuyé les joues. D’un geste résolu, il avait tout envoyé au diable. Il partit d’un franc éclat de rire.

— Tu l’arranges bien ! Quand on songe que tu me la vantais, l’autre soir.

— Je te ferai toujours l’éloge de la femme que tu auras l’air d’aimer… pour le plaisir, Éric.

— Avoue que tu serais désolé de m’en voir aimer une sincèrement ?

— Le véritable amour n’est pas de ton âge.

Paul ajouta, du haut de toute la morgue de ses dix-neuf ans :

— Je suis de ton avis. Un poète, c’est créé pour