Page:Rachilde - Les Hors nature, 1897.djvu/76

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ne pleurait plus, elle avait les paupières rouges comme de la flamme et elle répétait des phrases puériles, demandant son Reutler et les servantes. J’arrivais tout transi, supposant qu’elle m’appelait puisque je porte le nom de notre père. Et elle m’expliquait qu’un petit garçon ne doit pas savoir comment naissent ses frères ou ses sœurs, oubliant que je n’étais plus un petit garçon, moi, déjà grand et développé comme un homme. Elle me contait que l’enfant arriverait par la croisée ouverte, imitant le petit Jésus à Noël. Je regardais mélancoliquement les plaines blanches, les bois noirs, et tout à coup je vis — oh ! très loin, tellement loin que je crus à un éclair d’orage, malgré l’hiver, — une lueur, puis une fumée et j’entendis retentir une détonation sourde qui fit vibrer la toiture de zinc du belvédère : « Voici Jorgon, criai-je, mère ne vous impatientez pas ! C’est lui qui rentre en refermant la porte cochère un peu fort. » Elle se leva poussant un cri, l’écho de ce coup sourd, toujours vibrant par la chambre : « C’est le canon ! » râla-t-elle.

Et la louve de France ne s’était pas trompée. On se battait à Villersexel. Je perdis la tête. Effaré, je me blottis près de son lit en me bouchant les oreilles. Je n’étais pas peureux, mais je devinais bien que ce bruit allait l’assassiner et, très égoïstement, je pensais qu’une guerre est surtout une chose abominable parce qu’elle peut, par mégarde, écraser une pauvre femme en couches dans une chambre trop sonore. Un nouveau coup retentit, puis un troisième, puis les mitrailleuses. Ce fut bientôt un bruit si formidable, qu’elle voulut se précipiter par la fenêtre. « Mère, suppliai-je, te-