Page:Rachilde - Madame Adonis, 1929.djvu/10

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Maman Bartau avait écrit. Elle leur recommandait de ne pas payer la note de l’hôtel sans l’avoir sagement vérifiée ; ces gens d’Amboise ayant assez mauvaise réputation.

Puis, il faudrait lui rapporter une douzaine de poires à cuire, — elles passaient pour excellentes, dans le pays. — un morceau de fromage d’une espèce molle très particulière (pas trop fait…) et dire à Louise de mettre son jupon de moire de laine pour ne pas abîmer sa robe bleue. Elle terminait en les suppliant de ne plus s’attarder, car la scierie fonctionnait tout de travers, on vendait moins de douves, les planches s’écoulaient à peine, les ouvriers buvaient.

Il n’y avait que quarante-huit heures, pourtant, qu’ils étaient partis de Tours. Ils se repentaient même de la visite aux cousins de Blois qui avait diminué leurs vacances. Louis mit la lettre dans sa poche, impatienté. Il décacheta celle du contremaître « lui mandant par la présente qu’on encaisserait 625 fr. de la fin de mois, plus, pour report, trois billets à ordre des sieurs Chaulain et Lagaye, forestiers ». Une scie s’était cassée dans un nœud de chêne dur, un tonneau d’encre à rayer s’était perdu, bref, un bouleversement, une anarchie !… Comme le jeune homme se sentait un inexplicable besoin de respirer, il ne voulut rien dire de ces choses navrantes à Louise. Après tout, elle avait vingt ans et les chiffres ne sont pas gais. Mais le fromage, d’une espèce particulière, l’inquiétait beaucoup. On ne voyait pas d’épicerie. Où l’acheter ? Et les fermes devaient être loin. Du fromage qui serait trop fait quand on reviendrait chez soi, sûrement.