Page:Rachilde - Madame Adonis, 1929.djvu/12

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Du fromage qu’on promènera toute la journée ! Mais elle a le diable au corps, ta mère ! Certainement, achetons-lui du gruyère. Tant pis ! ce sera sa punition.

— Madame, ajouta-t-elle, en tirant la marchande par sa manche, mettez-m’en pour deux francs cinquante : je veux qu’elle se régale, moi !

Et ils durent s’embarrasser d’un prodigieux morceau de vieux gruyère enveloppé dans du papier jaune.

L’épicière regardait ironiquement ces amateurs… Des étrangers, sans doute…

Louise marchait seule, d’un air furieux. Elle ne voulait plus discuter, et elle pensait qu’elle finirait par faire un malheur. Elle retournerait chez son père, à Paris, sans rien dire. Oui, le papa Tranet la recevrait bien, il était sur sa faillite, à la vérité, mais elle l’aiderait à débrouiller ses comptes et elle serait sérieuse. On irait au spectacle, le dimanche, elle retrouverait ses amies de pension et elle sortirait, pour la messe, dans des fiacres très convenables. Plus de belle-mère Bartau ! Plus de l’existence monotone de Tours ! Elle laisserait là les bandes de tapisseries qui s’allongent comme des serpents apocalyptiques. Avait-on jamais vu une ville où on ne reçoit pas « rapport à la médiocrité de sa fortune ? » Il n’y a qu’à Paris où on peut être très riche avec la médiocrité, et elle ferait des économies.

Louis, gêné par le gruyère qu’il n’osait pas introduire dans le petit sac de sa femme, boudait, en arrière.

Il en voulait aux Parisiennes de rester jolies et bavardes, malgré le mariage. Cependant,