Page:Rachilde - Madame Adonis, 1929.djvu/57

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ans. Elle possédait une carrure d’épaules qu’un maître d’armes lui aurait enviée, et elle portait toujours une robe princesse en écossais vert et bleu. Quand la robe se fanait, on y ajoutait, sur le devant, une bande en soie verte et une bande en soie bleue, puis des gros boutons en bois qu’on habillait d’un moule tantôt vert tantôt bleu. Les bandes s’ajoutaient, les boutons s’augmentaient, mais la robe était toujours la même. Une immense chaîne de montre lui faisait trois fois le tour du cou pour tenir un oignon en argent très massif, une clef de coffre-fort, un tire-bouchon-canif pouvant, à la rigueur, servir de poignard, la médaille de Saint-Martin, une paire de ciseaux et un seau en acier contenant un dé à coudre. Ces différents objets sortaient continuellement du gousset qui était leur refuge et se répandaient alors en cliquetis désagréables. Mme Bartau, les jours de visites, une fois l’an, prenait, sur son bras, un châle-tapis qu’elle ne pouvait jamais draper sur elle parce qu’elle avait toujours trop chaude Elle emprisonnait sa taille presque carrée dans une large ceinture de caoutchouc à boucle en forme de croissant, une boucle de bel ivoire jauni. Cette lune, qui se promenait sur le fond verdâtre de la robe écossaise faisait songer aux paysages semi-nocturnes de Corot. Jamais elle n’apparaissait sans sa boucle, un cadeau de feu Bartau qui l’avait achetée, sous Napoléon III, vingt-cinq francs. Son chapeau, absolument simple, comme il convient aux fortunes médiocres, était en paille noire, forme cloche, bordé d’un galon vert, ce qui était assorti à la robe, avec une touffe de ces fleurs artificielles qu’on ne peut voir qu’en province, chez les