Page:Rachilde - Madame Adonis, 1929.djvu/80

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— Mon petit, ajouta-t-il gravement, vous l’avez voulu. Les jolies filles ne manquaient pas ici et vous avez été la chercher au diable. Nous y veillerons tant que nous pourrons… mais je ne suis pas sous son traversin, moi.

La semaine s’écoula dans des alternatives cruelles. Louise pâlissait, Louis maigrissait, la maman Bartau ne décolérait pas, accusant la pauvreté des Tranet, le manque de trousseau et le désordre des gens toujours prêts à faire faillite. La situation commençait à être connue du charcutier qui, les poings sur la ceinture, philosophait avec la bonne.

— C’est donc une lune rousse ? On ne les voit plus ensemble !

— Ils font lit à part, monsieur.

— Vraiment ? moi, je comptais vendre bientôt des saucisses à leurs mioches.

— Monsieur Chinard, c’est une désolation et la bourgeoise a la tête à l’envers.

— Une demoiselle de Paris si gentille !

— Un garçon si rangé, une perle !

Louise avait entamé la broderie de son deuxième fauteuil. Son métier installé à côté de sa fenêtre, ouverte dans l’espoir de voir quelque chose, elle s’asseyait des journées entières, distribuant les fils des laines sans trop s’occuper de leurs nuances. Elle attendait un geste, un mot, un clin d’œil qui lui rappelât qu’on aimait tout de même sa pauvre petite femme, et il restait impassible, souffrant à crier, mais ne voulant plus le lui laisser deviner, car elle pensait à un autre ; c’était bien fini de rire entre eux deux. Un matin ils allèrent à la scierie pour respirer un peu et maman Bartau les accompagna, s’appuyant sur le