Page:Rachilde - Madame Adonis, 1929.djvu/84

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D’ailleurs, la pauvrette était cruellement punie, elle revenait phtisique, déjà pâle, elle rapportait la teinte des morts sur son léger profil d’oiseau. Elle mourut un an après son retour au logis conjugal, et Tranet la pleura en s’arrachant des touffes de cheveux. On mit la fillette en pension. Le veuf, une fois son mouchoir séché, courut de nouveau le guilledou. De la province, les vendeurs de bois lui crièrent de faire une fin plus honnête, mais ce diable d’homme avait le goût des aventures. Il alla en Angleterre proposer un tonneau de luxe, système à pompe, la joie des ivrognes. Ce récipient, en ébène, cerclé de nickel, fonctionnait dans les verres du comptoir par des tuyaux biscornus imitant les vrilles de la vigne et il servait, à la fois, madère, xérès ou malaga. Un prodige : célérité, embellissement, utilité, tout était vraiment réuni dans ce tonneau, dont on n’espérait plus voir le fond. À Londres, M. Tranet et sa cargaison firent la connaissance d’une miss avenante, directrice d’une taverne bien notée. Le digne homme, toujours galant, offrit son modèle qu’on accepta, et, successivement, les yeux railleurs de cette miss aidant, les petits tonneaux s’alignèrent sur les comptoirs. Désormais Tranet tenait une idée faire fonctionner lui-même les pompes en vrilles de vigne. Exquise, cette idée, et la miss, plus exquise encore. Ils s’associèrent, légalement pour le commerce, illégitimement pour l’amour. Une affaire superbe où tout était à gagner, rien à perdre. Au bout de deux ans, la miss se maria avec un marchand de gin, et les petits tonneaux, qu’on avait oublié de mentionner sur une facture, tant la galanterie de