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prunelles. Elle tira de son corsage un petit poignard fin et le lança de toutes ses forces à la chienne. Celle-ci n’eut que le temps de faire un saut ; le poignard alla se ficher en terre. Bell, prenant ses précautions, le saisit délicatement par le manche et le rapporta, la queue basse. Peut-être faisait-elle semblant de croire à un jeu. Elle continua à tenir ce poignard pendant longtemps, galopant aux côtés de la cruelle fille, n’osant pas lui rappeler qu’elle était là.

Les lointains de Tourtoiranne s’effacèrent, puis le village se perdit à son tour. On se rapprocha de Montpellier, on s’en éloigna, et enfin Renée modéra Mélibar pour tâcher de s’orienter. Elle était sur une espèce de plateau inculte parsemé de rocs se dressant çà et là comme des revenants. Pas un pâtre n’égayait la solitude.

— J’ai peur ! » fit Renée tout bas.

Bell gémit ; la jeune fille se pencha et lui reprit l’arme mouillée d’écume.

— Pauvre bête ! » ajouta-t-elle, caressant tristement la tête soyeuse de la chienne.

— Allons, ce doit être par ici, murmura de nouveau Renée ; je me souviens d’une sombre habitation en ruines, d’une habitation abandonnée parce qu’il fallait trop de main-d’œuvre pour entretenir son parc et ses dépendances. Les Combasses ! Les Combasses ! J’y suis venue étant petite fille avec mon père, je crois… L’étang des Combasses… J’avais sept ans… Je me vois vêtue de batiste blanche sur les coussins