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nono

pauvre enfant qui n’osait plus l’embrasser, tant il sentait l’abîme se recreuser entre eux.

Ils demeurèrent une seconde silencieux, puis elle reprit très vite et très bas :

— Nono, j’épouse le duc de Pluncey… ne crie pas, ne pleure pas… surtout ne me quitte pas, je veux, il le faut pour moi comme pour toi ! Je serai duchesse, tu comprends, ce n’est pas tout le monde… une duchesse !… et personne ne la soupçonne ; j’ai hâte de mettre à mon cou un lourd blason comme ces carcans grossiers d’autrefois qui retenaient les condamnés au mur de leur prison.

« Nono, si mon passé n’était ce qu’il est, déjà nous aurions fui tous les deux, et déjà nous nous aimerions… Oh ! ivresse !… t’apprendre le bonheur à toi une innocence faite homme !… »

Elle caressait les cheveux noirs de Bruno avec une fièvre tout inassouvie, puis, brusquement, sans aucune transition :

— Ah ! c’est impossible !… impossible !… mes baisers sont des souillures… éloigne-toi.

Je m’y attendais ! fit simplement Bruno et, navré, il pressa encore les doigts fins qu’elle n’avait pu dégager de son étreinte.

— Toujours des secrets ! murmura-t-il, moi, je ne veux plus que tu me trompes.

— Je t’aime aussi sincèrement que si je t’appartenais, Bruno !

— Mais tu ne m’appartiens pas, Renée… puisque tu me caches tes douleurs ! »