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venant de Paris. Aussitôt mon billet donné à l’employé, j’ai pris la route de Gana-les-Écluses, absolument par hasard et me fiant à mon cœur… ne riez pas, je vous prie. Une fois le village dépassé, j’ai rencontré un paysan cacochyme auquel j’ai demandé la demeure de M. Bruno Maldas, et naturellement il m’a répondu en me montrant celle du général Fayor. Vous voyez que je garde les convenances. À Paris il n’y a que mes créanciers capables de s’intéresser à mes promenades. Quant à la frayeur que semble vous inspirer monsieur votre père, vous me permettrez d’en douter. Vous êtes toute-puissante auprès de lui, cela est certain, et si vous aviez la moindre envie de me recevoir par les grandes entrées… vous me recevriez ! J’ai donc voulu, de mon autorité privée, avoir une explication avec vous… malgré vos défenses… et me voilà !

— Vous me rapportez mes lettres ? interrogea-t-elle avec vivacité.

— Ah ! oui, vos lettres ! Je devais en effet vous les rendre à notre prochaine entrevue… Renée, vous avez cessé de m’aimer, soit ! À votre âge, dans votre position, avec votre étrange caractère, on n’aime pas longtemps.

— Je ne vous ai jamais aimé ! s’exclama Renée ; je n’ai jamais aimé, pas plus vous qu’un autre ; j’espère bien vivre sans amour toute ma vie. L’horrible chose que vos passions. L’horrible chose ! »

Elle leva ses bras dont les modelés moelleux se détendirent dans une violence effrayante.