Page:Rachilde - Refaire l’amour, 1928.djvu/251

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drai-je encore en me soignant, moi, qui ai le mépris de tous les soins et dont la santé me fait oublier mon âge ? Il me demeure, pour plaire, un sourire amer sur des dents prêtes à mordre, mes yeux sombres qui vivent de l’intense chaleur de la passion quand ils sont passionnés, mais qui deviennent terriblement graves dès qu’il ne regardent plus avec amour… et je suis dégoûté de l’amour sans amour. J’ai… de nouveau, la fureur d’aimer et il me faudrait peut-être découvrir un objet digne de cette fureur.

Toute ma personne, dans ce veston d’intérieur de velours noir, me retourne une vision de deuil, un deuil de fantaisie que je n’ai pas conçu, mais que je subis, malgré moi, en dépit de ma coutumière simplicité, une austérité un peu théâtrale qu’accentuent les mèches grises et rebelles de mes cheveux. Cet Alain Montarès là, dans la glace terne, haute comme la paroi humide d’un puits, dans ce miroir de tout son passé, est en train de s’enfoncer dans la légende, une brume l’estompe, un gouffre l’attire.

Derrière lui la porte de l’atelier s’est ouverte et Jules Nordin, l’inconnu, pénètre. Je me retourne, je souris :

— Eh bien, mon ami, que désirez-vous ? Mes domestiques vous ont fait attendre ? Ils ont eu tort. Asseyez-vous là. Je vous écoute.