Page:Rachilde - Refaire l’amour, 1928.djvu/256

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qui augmente tous les jours. On est paré pour deux, pas pour trois. Le logement est déjà plein, vu que nous couchons tous dans la même chambre. La mère fait des ménages, moi, je suis ouvrier électricien, ce qui est un bon métier quand on ne chôme pas à cause des accidents. J’ai eu un bras brûlé par un appareil, un matin dont je me souviendrai. J’ai vu passer la mort, là-bas, dans les tranchées, mais, quand on se bat, c’est, naturellement, pour en finir avec la chienne d’existence, tandis que quand on travaille, c’est pour la gagner, alors, comme de juste, c’est moins drôle ! Voilà : j’avais une sœur, elle est morte, elle, à la Maternité en accouchant d’un garçon et il n’y a pas à vous en garer, ce gosse-là est de vous, j’en remettrai mon bras au feu ! Ma sœur nous l’a caché tant qu’elle a pu. Pourquoi ? Ça, j’en sais rien. Sans doute qu’elle avait le béguin pour vous et qu’elle voulait pas qu’on vous ennuie, mais pour ma mère comme pour moi, il est signé, le môme… Après la mort d’Henriette on a été forcé de se charger du petit. On ne pouvait ni le mettre aux assistés ni au ruisseau. La mère, qui n’a jamais pu sentir sa fille, s’est entichée de son petit-fils ; moi, je n’ai pas perdu la carte. Faut vous dire que les sentiments de famille, c’est pas mon fort ! J’ai vu, d’un coup, qu’on allait à la faillite.