Page:Rachilde - Refaire l’amour, 1928.djvu/55

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toujours envie de tuer quelqu’un. Et l’ensemble de ces états d’âme, un peu complexes, s’appelle une bonne éducation.

Je suis fort bien élevé, sinon vertueux.

Cette pièce, aux parois de verre, est entourée, jusqu’à hauteur de corniche, de rideaux de velours violets déteints, décolorés par la lente infiltration de l’humidité du jardin. Dans leurs plis lourds, monte et descend toute la gamme des merveilleuses nuances du violet, cette pourpre du deuil, depuis les lilas gris de Perse jusqu’aux mauves rougeâtres de la lie de vin.

Des cordons de tirage transposent cette gamme, disposent ces plis, les font reculer ou avancer, tour à tour ardents comme des guirlandes de jacinthes, ou sombres, en colonnes taillées dans une grotte d’améthyste. Pas de fenêtre qui s’ouvre, mais la libre vue sur la réalité de la lumière du jour ou de la clarté lunaire que l’on peut supposer factice, car ce pauvre coin de jardin, ce morceau de nature condamné à l’internement dans la plus intense des civilisations, n’a pas un aspect naturel. C’est une vision de tristesse élégante, voulue. Les arbres ne sont plus que des fantômes de la forêt, et la vasque, à margelle ciselée, tombée au milieu d’eux, n’est plus que la coupe d’un géant, coupe tarie par l’oubli des grandes ivresses ancestrales.