Page:Rachilde - Refaire l’amour, 1928.djvu/58

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cru avoir vingt ans, aujourd’hui. Pauvre fou !

Écroulé sur ce divan, ayant à porté de ma main le cordon qui fait mouvoir les rideaux, ces lourds plis m’enveloppent comme les draperies d’un catafalque ; je hale, je tire de la même façon qu’on prendrait un ris sur un bateau et je découvre la partie du jardin où Sirloup se promène, dans le brouillard emmêlant les contours, ceux des arbustes et ceux de sa silhouette héraldique. Machinalement, je cherche à m’abstraire. Sirloup m’apercevant, se précipite, colle son museau contre la vitre, les oreilles pointées en croissant, ses prunelles de topaze dardées. Sa langue pendante donne une lueur toute rose en opposition aux reflets mauves de l’abat-jour. Comme il est vivant !…

— Non, mon vieux, pas tout de suite. Amuse-toi encore une minute. Moi, je n’ai pas envie de vivre… ni d’aller dormir.

Je refais la nuit sur le jardin et le deuil retombe autour de moi, plus épais, plus lourd.

Je reste en tête à tête avec la femme nue.

Est-elle nue ? Non. Elle est surtout indéfinie, pas finie, ou effacée. Brune, ses cheveux tordus en écharpe, barrent sa poitrine et s’effilent sur sa hanche gauche. La face est trop faite pour le reste de sa personne qui se dilue sous des lambeaux de voiles flottants.