Scène II.
Ainsi le ciel s’apprête à vous rendre justice.
Vous partirez, seigneur, mais avec Bérénice.
Loin de vous la ravir, on va vous la livrer.
Arsace, laisse-moi le temps de respirer.
Ce changement est grand, ma surprise est extrême :
Titus entre mes mains remet tout ce qu’il aime !
Dois-je croire, grands dieux ! ce que je viens d’ouïr ?
Et quand je le croirais, dois-je m’en réjouir ?
Mais moi-même, seigneur, que faut-il que je croie ?
Quel obstacle nouveau s’oppose à votre joie ?
Me trompiez-vous tantôt au sortir de ces lieux,
Lorsque encor tout ému de vos derniers adieux,
Tremblant d’avoir osé s’expliquer devant elle,
Votre cœur me contait son audace nouvelle ?
Vous fuyiez un hymen qui vous faisait trembler.
Cet hymen est rompu : quel soin peut vous troubler ?
Suivez les doux transports où l’amour vous invite.
Arsace, je me vois chargé de sa conduite ;
Je jouirai longtemps de ses chers entretiens ;
Ses yeux mêmes pourront s’accoutumer aux miens ;
Et peut-être son cœur fera la différence
Des froideurs de Titus à ma persévérance.
Titus m’accable ici du poids de sa grandeur :
Tout disparaît dans Rome auprès de sa splendeur ;
Mais quoique l’Orient soit plein de sa mémoire,
Bérénice y verra des traces de ma gloire.
N’en doutez point, seigneur, tout succède à vos vœux.
Ah ! que nous nous plaisons à nous tromper tous deux !
Et pourquoi nous tromper ?
Bérénice à mes vœux ne serait plus contraire ?
Bérénice d’un mot flatterait mes douleurs ?
Penses-tu seulement que, parmi ses malheurs,
Quand l’univers entier négligerait ses charmes,
L’ingrate me permît de lui donner des larmes,
Ou qu’elle s’abaissât jusques à recevoir
Des soins qu’à mon amour elle croirait devoir ?
Et qui peut mieux que vous consoler sa disgrâce ?
Sa fortune, seigneur, va prendre une autre face :
Titus la quitte.
Il ne me reviendra que le nouveau tourment
D’apprendre par ses pleurs à quel point elle l’aime :
Je la verrai gémir ; je la plaindrai moi-même.
Pour fruit de tant d’amour, j’aurai le triste emploi
De recueillir des pleurs qui ne sont pas pour moi.
Quoi ! ne vous plairez-vous qu’à vous gêner sans cesse ?
Jamais dans un grand cœur vit-on plus de faiblesse ?
Ouvrez les yeux, seigneur, et songeons entre nous
Par combien de raisons Bérénice est à vous.
Puisque aujourd’hui Titus ne prétend plus lui plaire,
Songez que votre hymen lui devient nécessaire.
Nécessaire ?
De ses premiers sanglots laissez passer le cours :
Tout parlera pour vous, le dépit, la vengeance,
L’absence de Titus, le temps, votre présence,
Trois sceptres que son bras ne peut seul soutenir,
Vos deux états voisins qui cherchent à s’unir ;
L’intérêt, la raison, l’amitié, tout vous lie.
Ah ! je respire, Arsace, et tu me rends la vie ;
J’accepte avec plaisir un présage si doux.
Que tardons-nous ? Faisons ce qu’on attend de nous :
Entrons chez Bérénice ; et puisqu’on nous l’ordonne,
Allons lui déclarer que Titus l’abandonne…
Mais plutôt demeurons. Que faisais-je ? est-ce à moi,
Arsace, à me charger de ce cruel emploi ?
Soit vertu, soit amour, mon cœur s’en effarouche.
L’aimable Bérénice entendrait de ma bouche
Qu’on l’abandonne ! Ah ! reine ! et qui l’aurait pensé
Que ce mot dût jamais vous être prononcé !
La haine sur Titus tombera tout entière.
Seigneur, si vous parlez, ce n’est qu’à sa prière.
Non, ne la voyons point ; respectons sa douleur ;
Assez d’autres viendront lui conter son malheur.
Et ne la crois-tu pas assez infortunée
D’apprendre à quel mépris Titus l’a condamnée,
Sans lui donner encor le déplaisir fatal
D’apprendre ce mépris par son propre rival ?
Encore un coup, fuyons ; et par cette nouvelle
N’allons point nous charger d’une haine immortelle.
Ah ! la voici, seigneur ; prenez votre parti.
Ô ciel !