Eh quoi, madame ! Osmin…
Et depuis son départ cet esclave est parti.
C’en est fait.
Quel revers !
Le sultan, qui l’envoie, est parti sur ses traces.
Quoi ! les Persans armés ne l’arrêtent donc pas ?
Non, madame, vers nous il revient à grands pas.
Que je vous plains, madame ! et qu’il est nécessaire
D’achever promptement ce que vous vouliez faire !
Il est tard de vouloir s’opposer au vainqueur.
Ô ciel !
Vous voyez dans mes mains sa volonté suprême.
Et que vous mande-t-il ?
Vous connaissez, madame, et la lettre et le seing.
Du cruel Amurat je reconnais la main.
« Je vous ai fait porter mes ordres absolus :
« Je ne veux point douter de votre obéissance,
« Et crois que maintenant Bajazet ne vit plus.
« Je laisse sous mes lois Babylone asservie,
« Et confirme en partant mon ordre souverain.
« Vous, si vous avez soin de votre propre vie,
« Ne vous montrez à moi que sa tête à la main. »
Eh bien ?
Cache tes pleurs, malheureuse Atalide !
Que vous semble ?
Mais il pense proscrire un prince sans appui :
Il ne sait pas l’amour qui vous parle pour lui ;
Que vous et Bajazet vous ne faites qu’une âme ;
Que plutôt, s’il le faut, vous mourrez…
Je voudrais le sauver, je ne le puis haïr ;
Mais…
Quoi donc ? qu’avez-vous résolu ?
D’obéir.
D’obéir !
Il le faut.
Verra finir ses jours qu’il vous a destinés !
Il le faut ; et déjà mes ordres sont donnés.
Je me meurs.
Elle tombe, et ne vit plus qu’à peine.
Allez, conduisez-la dans la chambre prochaine ;
Mais au moins observez ses regards, ses discours,
Tout ce qui convaincra leurs perfides amours.
Scène IV.
Ma rivale à mes yeux s’est enfin déclarée.
Voilà sur quelle foi je m’étais assurée !
Depuis six mois entiers j’ai cru que, nuit et jour,
Ardente, elle veillait au soin de mon amour :
Et c’est moi qui, du sien ministre trop fidèle,
Semble depuis six mois ne veiller que pour elle ;
Qui me suis appliquée à chercher les moyens
De lui faciliter tant d’heureux entretiens ;
Et qui même souvent, prévenant son envie,
Ai hâté les moments les plus doux de sa vie.
Ce n’est pas tout : il faut maintenant m’éclaircir
Si dans sa perfidie elle a su réussir ;
Il faut… Mais que pourrais-je apprendre davantage ?
Mon malheur n’est-il pas écrit sur son visage ?
Vois-je pas, au travers de son saisissement,
Un cœur dans ses douleurs content de son amant ?
Exempte des soupçons dont je suis tourmentée,
Ce n’est que pour ses jours qu’elle est épouvantée.
N’importe : poursuivons. Elle peut, comme moi,
Sur des gages trompeurs s’assurer de sa foi.
Pour le faire expliquer, tendons-lui quelque piége.
Mais quel indigne emploi moi-même m’imposé-je !
Quoi donc ! à me gêner appliquant mes esprits,
J’irai faire à mes yeux éclater ses mépris ?
Lui-même il peut prévoir et tromper mon adresse.
D’ailleurs, l’ordre, l’esclave, et le vizir me presse.