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ATALIDE.

Eh quoi, madame ! Osmin…

ROXANE.

Eh quoi, madame ! Osmin… Était mal averti ;
Et depuis son départ cet esclave est parti.
C’en est fait.

ATALIDE, à part.

C’en est fait. Quel revers !

ROXANE.

C’en est fait. Quel revers ! Pour comble de disgrâce,
Le sultan, qui l’envoie, est parti sur ses traces.

ATALIDE.

Quoi ! les Persans armés ne l’arrêtent donc pas ?

ROXANE.

Non, madame, vers nous il revient à grands pas.

ATALIDE.

Que je vous plains, madame ! et qu’il est nécessaire
D’achever promptement ce que vous vouliez faire !

ROXANE.

Il est tard de vouloir s’opposer au vainqueur.

ATALIDE, à part.

Ô ciel !

ROXANE.

Ô ciel ! Le temps n’a point adouci sa rigueur.
Vous voyez dans mes mains sa volonté suprême.

ATALIDE.

Et que vous mande-t-il ?

ROXANE.

Et que vous mande-t-il ? Voyez : lisez vous-même.
Vous connaissez, madame, et la lettre et le seing.

ATALIDE.

Du cruel Amurat je reconnais la main.

(elle lit.)
« Avant que Babylone éprouvât ma puissance,

« Je vous ai fait porter mes ordres absolus :
« Je ne veux point douter de votre obéissance,
« Et crois que maintenant Bajazet ne vit plus.
« Je laisse sous mes lois Babylone asservie,
« Et confirme en partant mon ordre souverain.
« Vous, si vous avez soin de votre propre vie,
« Ne vous montrez à moi que sa tête à la main. »

ROXANE.

Eh bien ?

ATALIDE, à part.

Eh bien ? Cache tes pleurs, malheureuse Atalide !

ROXANE.

Que vous semble ?

ATALIDE.

Que vous semble ? Il poursuit son dessein parricide.
Mais il pense proscrire un prince sans appui :
Il ne sait pas l’amour qui vous parle pour lui ;
Que vous et Bajazet vous ne faites qu’une âme ;
Que plutôt, s’il le faut, vous mourrez…

ROXANE.

Que plutôt, s’il le faut, vous mourrez… Moi, madame !
Je voudrais le sauver, je ne le puis haïr ;
Mais…

ATALIDE.

Mais… Quoi donc ? qu’avez-vous résolu ?

ROXANE.

Mais… Quoi donc ? qu’avez-vous résolu ? D’obéir.

ATALIDE.

D’obéir !

ROXANE.

D’obéir ! Et que faire en ce péril extrême ?
Il le faut.

ATALIDE.

Il le faut. Quoi ! ce prince aimable… qui vous aime…
Verra finir ses jours qu’il vous a destinés !

ROXANE.

Il le faut ; et déjà mes ordres sont donnés.

ATALIDE.

Je me meurs.

ZATIME.

Je me meurs. Elle tombe, et ne vit plus qu’à peine.

ROXANE.

Allez, conduisez-la dans la chambre prochaine ;
Mais au moins observez ses regards, ses discours,
Tout ce qui convaincra leurs perfides amours.


Scène IV.

ROXANE.

Ma rivale à mes yeux s’est enfin déclarée.
Voilà sur quelle foi je m’étais assurée !
Depuis six mois entiers j’ai cru que, nuit et jour,
Ardente, elle veillait au soin de mon amour :
Et c’est moi qui, du sien ministre trop fidèle,
Semble depuis six mois ne veiller que pour elle ;
Qui me suis appliquée à chercher les moyens
De lui faciliter tant d’heureux entretiens ;
Et qui même souvent, prévenant son envie,
Ai hâté les moments les plus doux de sa vie.
Ce n’est pas tout : il faut maintenant m’éclaircir
Si dans sa perfidie elle a su réussir ;
Il faut… Mais que pourrais-je apprendre davantage ?
Mon malheur n’est-il pas écrit sur son visage ?
Vois-je pas, au travers de son saisissement,
Un cœur dans ses douleurs content de son amant ?
Exempte des soupçons dont je suis tourmentée,
Ce n’est que pour ses jours qu’elle est épouvantée.
N’importe : poursuivons. Elle peut, comme moi,
Sur des gages trompeurs s’assurer de sa foi.
Pour le faire expliquer, tendons-lui quelque piége.
Mais quel indigne emploi moi-même m’imposé-je !
Quoi donc ! à me gêner appliquant mes esprits,
J’irai faire à mes yeux éclater ses mépris ?
Lui-même il peut prévoir et tromper mon adresse.
D’ailleurs, l’ordre, l’esclave, et le vizir me presse.