Page:Racine - Œuvres, Didot, 1854.djvu/210

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Absent, mais toujours plein de son amour extrême,
Il lui fit par tes mains porter son diadème.
Juge de mes douleurs, quand des bruits trop certains
M’annoncèrent du roi l’amour et les desseins ;
Quand je sus qu’à son lit Monime réservée
Avait pris, avec toi, le chemin de Nymphée !
Hélas ! ce fut encor dans ce temps odieux
Qu’aux offres des Romains ma mère ouvrit les yeux :
Ou pour venger sa foi par cet hymen trompée,
Ou ménageant pour moi la faveur de Pompée,
Elle trahit mon père, et rendit aux Romains
La place et les trésors confiés en ses mains.
Que devins-je au récit du crime de ma mère !
Je ne regardai plus mon rival dans mon père ;
J’oubliai mon amour par le sien traversé :
Je n’eus devant les yeux que mon père offensé.
J’attaquai les Romains ; et ma mère éperdue
Me vit, en reprenant cette place rendue,
À mille coups mortels contre eux me dévouer,
Et chercher, en mourant, à la désavouer.
L’Euxin, depuis ce temps, fut libre, et l’est encore ;
Et des rives de Pont aux rives du Bosphore
Tout reconnut mon père ; et ses heureux vaisseaux
N’eurent plus d’ennemis que les vents et les eaux.
Je voulais faire plus : je prétendais, Arbate,
Moi-même à son secours m’avancer vers l’Euphrate.
Je fus soudain frappé du bruit de son trépas.
Au milieu de mes pleurs, je ne le cèle pas,
Monime, qu’en tes mains mon père avait laissée,
Avec tous ses attraits revint en ma pensée.
Que dis-je ! en ce malheur je tremblai pour ses jours ;
Je redoutai du roi les cruelles amours :
Tu sais combien de fois ses jalouses tendresses
Ont pris soin d’assurer la mort de ses maîtresses.
Je volai vers Nymphée ; et mes tristes regards
Rencontrèrent Pharnace au pied de ses remparts.
J’en conçus, je l’avoue, un présage funeste.
Tu nous reçus tous deux, et tu sais tout le reste.
Pharnace, en ses desseins toujours impétueux,
Ne dissimule point ses vœux présomptueux :
De mon père à la reine il conta la disgrâce,
L’assura de sa mort, et s’offrit en sa place.
Comme il le dit, Arbate, il veut l’exécuter.
Mais enfin, à mon tour, je prétends éclater :
Autant que mon amour respecta la puissance
D’un père à qui je fus dévoué dès l’enfance,
Autant ce même amour, maintenant révolté,
De ce nouveau rival brave l’autorité.
Ou Monime, à ma flamme elle-même contraire,
Condamnera l’aveu que je prétends lui faire ;
Ou bien, quelque malheur qu’il en puisse avenir,
Ce n’est que par ma mort qu’on la peut obtenir.
Voilà tous les secrets que je voulais t’apprendre.
C’est à toi de choisir quel parti tu dois prendre ;
Qui des deux te paraît plus digne de ta foi,
L’esclave des Romains, ou le fils de ton roi.
Fier de leur amitié, Pharnace croit peut-être
Commander dans Nymphée, et me parler en maître.
Mais ici mon pouvoir ne connaît point le sien :
Le Pont est son partage, et Colchos est le mien ;
Et l’on sait que toujours la Colchide et ses princes
Ont compté ce Bosphore au rang de leurs provinces.

ARBATE.

Commandez-moi, seigneur. Si j’ai quelque pouvoir,
Mon choix est déjà fait, je ferai mon devoir :
Avec le même zèle, avec la même audace
Que je servais le père, et gardais cette place,
Et contre votre frère, et même contre vous,
Après la mort du roi, je vous sers contre tous.
Sans vous, ne sais-je pas que ma mort assurée
De Pharnace en ces lieux allait suivre l’entrée ?
Sais-je pas que mon sang, par ses mains répandu,
Eût souillé ce rempart contre lui défendu ?
Assurez-vous du cœur et du choix de la reine ;
Du reste, ou mon crédit n’est plus qu’une ombre vaine,
Ou Pharnace, laissant le Bosphore en vos mains,
Ira jouir ailleurs des bontés des Romains.

XIPHARÈS.

Que ne devrai-je point à cette ardeur extrême !
Mais on vient. Cours, ami. C’est Monime elle-même.


Scène II.

MONIME, XIPHARÈS.
MONIME.

Seigneur, je viens à vous ; car enfin aujourd’hui
Si vous m’abandonnez, quel sera mon appui ?
Sans parents, sans amis, désolée et craintive,
Reine longtemps de nom, mais en effet captive,
Et veuve maintenant sans avoir eu d’époux,
Seigneur, de mes malheurs ce sont là les plus doux.
Je tremble à vous nommer l’ennemi qui m’opprime :
J’espère toutefois qu’un cœur si magnanime
Ne sacrifîra point les pleurs des malheureux
Aux intérêts du sang qui vous unit tous deux.
Vous devez à ces mots reconnaître Pharnace :
C’est lui, seigneur, c’est lui dont la coupable audace
Veut, la force à la main, m’attacher à son sort
Par un hymen pour moi plus cruel que la mort.
Sous quel astre ennemi faut-il que je sois née !
Au joug d’un autre hymen sans amour destinée,
À peine je suis libre et goûte quelque paix,
Qu’il faut que je me livre à tout ce que je hais.
Peut-être je devrais, plus humble en ma misère,
Me souvenir du moins que je parle à son frère :
Mais soit raison, destin, soit que ma haine en lui
Confonde les Romains dont il cherche l’appui,