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Moi-même de quel œil dois-je ici l’aborder ?
Parle. Quelque désir qui m’entraîne auprès d’elle,
Il me faut de leurs cœurs rendre un compte fidèle.
Qu’est-ce qui s’est passé ? qu’as-tu vu ? que sais-tu ?
Depuis quel temps, pourquoi, comment t’es-tu rendu ?

ARBATE.

Seigneur, depuis huit jours l’impatient Pharnace
Aborda le premier au pied de cette place ;
Et de votre trépas autorisant le bruit,
Dans ces murs aussitôt voulut être introduit.
Je ne m’arrêtai point à ce bruit téméraire ;
Et je n’écoutais rien, si le prince son frère,
Bien moins par ses discours, seigneur, que par ses pleurs,
Ne m’eût en arrivant confirmé vos malheurs.

MITHRIDATE.

Enfin, que firent-ils ?

ARBATE.

Enfin, que firent-ils ? Pharnace entrait à peine
Qu’il courut de ses feux entretenir la reine,
Et s’offrit d’assurer, par un hymen prochain,
Le bandeau qu’elle avait reçu de votre main.

MITHRIDATE.

Traître ! sans lui donner le loisir de répandre
Les pleurs que son amour aurait dus à ma cendre !
Et son frère ?

ARBATE.

Et son frère ? Son frère, au moins jusqu’à ce jour,
Seigneur, dans ses desseins n’a point marqué d’amour ;
Et toujours avec vous son cœur d’intelligence
N’a semblé respirer que guerre et que vengeance.

MITHRIDATE.

Mais encor, quel dessein le conduisait ici ?

ARBATE.

Seigneur, vous en serez tôt ou tard éclairci.

MITHRIDATE.

Parle, je te l’ordonne, et je veux tout apprendre.

ARBATE.

Seigneur, jusqu’à ce jour ce que j’ai pu comprendre,
Ce prince a cru pouvoir, après votre trépas,
Compter cette province au rang de ses États ;
Et sans connaître ici de lois que son courage,
Il venait par la force appuyer son partage.

MITHRIDATE.

Ah ! c’est le moindre prix qu’il se doit proposer,
Si le ciel de mon sort me laisse disposer.
Oui, je respire, Arbate, et ma joie est extrême :
Je tremblais, je l’avoue, et pour un fils que j’aime,
Et pour moi qui craignais de perdre un tel appui,
Et d’avoir à combattre un rival tel que lui.
Que Pharnace m’offense, il offre à ma colère
Un rival dès longtemps soigneux de me déplaire,
Qui toujours des Romains admirateur secret,
Ne s’est jamais contre eux déclaré qu’à regret ;
Et s’il faut que pour lui Monime prévenue
Ait pu porter ailleurs une amour qui m’est due,
Malheur au criminel qui vient me la ravir !
Et qui m’ose offenser et n’ose me servir !
L’aime-t-elle ?

ARBATE.

L’aime-t-elle ? Seigneur, je vois venir la reine.

MITHRIDATE.

Dieux, qui voyez ici mon amour et ma haine,
Épargnez mes malheurs, et daignez empêcher
Que je ne trouve encor ceux que je vais chercher !
Arbate, c’est assez : qu’on me laisse avec elle.


Scène IV.

MITHRIDATE, MONIME.
MITHRIDATE.

Madame, enfin le ciel près de vous me rappelle,
Et secondant du moins mes plus tendres souhaits,
Vous rend à mon amour plus belle que jamais.
Je ne m’attendais pas que de notre hyménée
Je dusse voir si tard arriver la journée ;
Ni qu’en vous retrouvant, mon funeste retour
Fît voir mon infortune, et non pas mon amour.
C’est pourtant cet amour qui, de tant de retraites,
Ne me laisse choisir que les lieux où vous êtes ;
Et les plus grands malheurs pourront me sembler doux
Si ma présence ici n’en est point un pour vous.
C’est vous en dire assez, si vous voulez m’entendre.
Vous devez à ce jour dès longtemps vous attendre ;
Et vous portez, madame, un gage de ma foi
Qui vous dit tous les jours que vous êtes à moi.
Allons donc assurer cette foi mutuelle.
Ma gloire loin d’ici vous et moi nous appelle ;
Et sans perdre un moment pour ce noble dessein,
Aujourd’hui votre époux, il faut partir demain.

MONIME.

Seigneur, vous pouvez tout : ceux par qui je respire
Vous ont cédé sur moi leur souverain empire ;
Et quand vous userez de ce droit tout-puissant,
Je ne vous répondrai qu’en vous obéissant.

MITHRIDATE.

Ainsi, prête à subir un joug qui vous opprime,
Vous n’allez à l’autel que comme une victime ;
Et moi, tyran d’un cœur qui se refuse au mien,
Même en vous possédant je ne vous devrai rien.
Ah, madame ! est-ce là de quoi me satisfaire ?
Faut-il que désormais renonçant à vous plaire,
Je ne prétende plus qu’à vous tyranniser ?
Mes malheurs, en un mot, me font-ils mépriser ?
Ah ! pour tenter encor de nouvelles conquêtes,
Quand je ne verrais pas des routes toutes prêtes,
Quand le sort ennemi m’aurait jeté plus bas,
Vaincu, persécuté, sans secours, sans États,
Errant de mers en mers, et moins roi que pirate,
Conservant pour tous biens le nom de Mithridate,