N’importe ; écoutons tout, et ne négligeons rien.
Examinons ce bruit, remontons à sa source :
S’il ne mérite pas d’interrompre ma course,
Partons ; et quelque prix qu’il en puisse coûter,
Mettons le sceptre aux mains dignes de le porter.
ACTE troisième.
Scène première.
Ah ! que l’on porte ailleurs les honneurs qu’on m’envoie :
Importune, peux-tu souhaiter qu’on me voie ?
De quoi viens-tu flatter mon esprit désolé ?
Cache-moi bien plutôt : je n’ai que trop parlé.
Mes fureurs au dehors ont osé se répandre :
J’ai dit ce que jamais on ne devait entendre.
Ciel ! comme il m’écoutait ! Par combien de détours
L’insensible a longtemps éludé mes discours !
Comme il ne respirait qu’une retraite prompte !
Et combien sa rougeur a redoublé ma honte !
Pourquoi détournais-tu mon funeste dessein ?
Hélas ! quand son épée allait chercher mon sein,
A-t-il pâli pour moi ? me l’a-t-il arrachée ?
Il suffit que ma main l’ait une fois touchée,
Je l’ai rendue horrible à ses yeux inhumains ;
Et ce fer malheureux profanerait ses mains.
Ainsi, dans vos malheurs ne songeant qu’à vous plaindre,
Vous nourrissez un feu qu’il vous faudrait éteindre.
Ne vaudrait-il pas mieux, digne sang de Minos,
Dans de plus nobles soins chercher votre repos ;
Contre un ingrat qui plaît recourir à la fuite,
Régner, et de l’État embrasser la conduite ?
Moi, régner ! Moi, ranger un État sous ma loi
Quand ma faible raison ne règne plus sur moi !
Lorsque j’ai de mes sens abandonné l’empire !
Quand sous un joug honteux à peine je respire !
Quand je me meurs !
Fuyez.
Je ne le puis quitter.
Vous l’osâtes bannir, vous n’osez l’éviter ?
Il n’est plus temps : il sait mes ardeurs insensées.
De l’austère pudeur les bornes sont passées :
J’ai déclaré ma honte aux yeux de mon vainqueur,
Et l’espoir malgré moi s’est glissé dans mon cœur.
Toi-même, rappelant ma force défaillante,
Et mon âme déjà sur mes lèvres errante,
Par tes conseils flatteurs tu m’as su ranimer :
Tu m’as fait entrevoir que je pouvais l’aimer.
Hélas ! de vos malheurs innocente ou coupable,
De quoi pour vous sauver n’étais-je point capable ?
Mais si jamais l’offense irrita vos esprits,
Pouvez-vous d’un superbe oublier les mépris ?
Avec quels yeux cruels sa rigueur obstinée
Vous laissait à ses pieds peu s’en faut prosternée !
Que son farouche orgueil le rendait odieux !
Que Phèdre en ce moment n’avait-elle mes yeux !
Œnone, il peut quitter cet orgueil qui te blesse ;
Nourri dans les forêts, il en a la rudesse.
Hippolyte, endurci par de sauvages lois,
Entend parler d’amour pour la première fois :
Peut-être sa surprise a causé son silence ;
Et nos plaintes peut-être ont trop de violence.
Songez qu’une barbare en son sein l’a formé.
Quoique Scythe et barbare, elle a pourtant aimé.
Il a pour tout le sexe une haine fatale.
Je ne me verrai point préférer de rivale.
Enfin tous tes conseils ne sont plus de saison :
Sers ma fureur, Œnone, et non point ma raison.
Il oppose à l’amour un cœur inaccessible ;
Cherchons pour l’attaquer quelque endroit plus sensible :
Les charmes d’un empire ont paru le toucher :
Athènes l’attirait, il n’a pu s’en cacher ;
Déjà de ses vaisseaux la pointe était tournée,
Et la voile flottait aux vents abandonnée.
Va trouver de ma part ce jeune ambitieux,
Œnone ; fais briller la couronne à ses yeux :
Qu’il mette sur son front le sacré diadème ;
Je ne veux que l’honneur de l’attacher moi-même.
Cédons-lui ce pouvoir que je ne puis garder.
Il instruira mon fils dans l’art de commander ;
Peut-être il voudra bien lui tenir lieu de père ;
Je mets sous son pouvoir et le fils et la mère.
Pour le fléchir enfin tente tous les moyens :
Tes discours trouveront plus d’accès que les miens ;
Presse, pleure, gémis ; peins-lui Phèdre mourante ;
Ne rougis point de prendre une voix suppliante :
Je t’avouerai de tout ; je n’espère qu’en toi.
Va : j’attends ton retour pour disposer de moi.