Où dit-on que le sort vous a fait rencontrer ?
Parmi des loups cruels prêts à me dévorer.
Qui vous mit dans ce temple ?
Qui ne dit point son nom, et qu’on n’a point revue.
Mais de vos premiers ans quelles mains ont pris soin ?
Dieu laissa-t-il jamais ses enfants au besoin ?
Aux petits des oiseaux il donne leur pâture,
Et sa bonté s’étend sur toute la nature.
Tous les jours je l’invoque ; et d’un soin paternel
Il me nourrit des dons offerts sur son autel.
Quel prodige nouveau me trouble et m’embarrasse !
La douceur de sa voix, son enfance, sa grâce,
Font insensiblement à mon inimitié
Succéder… Je serais sensible à la pitié !
Madame, voilà donc cet ennemi terrible ?
De vos songes menteurs l’imposture est visible,
À moins que la pitié qui semble vous troubler
Ne soit ce coup fatal qui vous faisait trembler.
Vous sortez ?
Sa présence à la fin pourrait être importune.
Non : revenez. Quel est tous les jours votre emploi ?
J’adore le Seigneur ; on m’explique sa loi ;
Dans son livre divin on m’apprend à la lire ;
Et déjà de ma main je commence à l’écrire.
Que vous dit cette loi ?
Qu’il venge tôt ou tard son saint nom blasphémé,
Qu’il est le défenseur de l’orphelin timide ;
Qu’il résiste au superbe et punit l’homicide.
J’entends. Mais tout ce peuple enfermé dans ce lieu,
À quoi s’occupe-t-il ?
Il loue, il bénit Dieu.
Dieu veut-il qu’à toute heure on prie, on le contemple ?
Tout profane exercice est banni de son temple.
Quels sont donc vos plaisirs ?
Je présente au grand prêtre ou l’encens ou le sel ;
J’entends chanter de Dieu les grandeurs infinies ;
Je vois l’ordre pompeux de ses cérémonies.
Eh quoi ! vous n’avez point de passe-temps plus doux ?
Je plains le triste sort d’un enfant tel que vous.
Venez dans mon palais, vous y verrez ma gloire.
Moi ! des bienfaits de Dieu je perdrais la mémoire !
Non ! je ne vous veux pas contraindre à l’oublier.
Vous ne le priez point.
Vous pourrez le prier.
Je verrais cependant en invoquer un autre.
J’ai mon dieu que je sers, vous servirez le vôtre :
Ce sont deux puissants dieux.
Lui seul est Dieu, madame ; et le vôtre n’est rien.
Les plaisirs près de moi vous chercheront en foule.
Le bonheur des méchants comme un torrent s’écoule.
Ces méchants, qui sont-ils ?
Un enfant…
Enfin, Éliacin, vous avez su me plaire ;
Vous n’êtes point sans doute un enfant ordinaire.
Vous voyez, je suis reine et n’ai point d’héritier :
Laissez là cet habit, quittez ce vil métier ;
Je veux vous faire part de toutes mes richesses ;
Essayez dès ce jour l’effet de mes promesses.
À ma table, partout à mes côtés assis,
Je prétends vous traiter comme mon propre fils.
Comme votre fils ?
Oui… Vous vous taisez ?
Je quitterais ! et pour…