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Par les mains d’Athalie un temple fut construit.
Jérusalem pleura de se voir profanée ;
Des enfants de Lévi la troupe consternée
En poussa vers le ciel des hurlements affreux.
Moi seul, donnant l’exemple aux timides Hébreux,
Déserteur de leur loi, j’approuvai l’entreprise,
Et par là de Baal méritai la prêtrise ;
Par là je me rendis terrible à mon rival,
Je ceignis la tiare, et marchai son égal.
Toutefois, je l’avoue, en ce comble de gloire,
Du Dieu que j’ai quitté l’importune mémoire
Jette encore en mon âme un reste de terreur :
Et c’est ce qui redouble et nourrit ma fureur.
Heureux si, sur son temple achevant ma vengeance,
Je puis convaincre enfin sa haine d’impuissance,
Et parmi les débris, le ravage et les morts,
À force d’attentats perdre tous mes remords !
Mais voici Josabeth.


Scène IV.

JOSABETH, MATHAN, NABAL.
MATHAN.

Mais voici Josabeth. Envoyé par la reine
Pour rétablir le calme et dissiper la haine,
Princesse, en qui le ciel mit un esprit si doux,
Ne vous étonnez pas si je m’adresse à vous.
Un bruit, que j’ai pourtant soupçonné de mensonge,
Appuyant les avis qu’elle a reçus en songe,
Sur Joad, accusé de dangereux complots,
Allait de sa colère attirer tous les flots.
Je ne veux point ici vous vanter mes services :
De Joad contre moi je sais les injustices ;
Mais il faut à l’offense opposer les bienfaits.
Enfin, je viens chargé de paroles de paix.
Vivez, solennisez vos fêtes sans ombrage.
De votre obéissance elle ne veut qu’un gage :
C’est, pour l’en détourner j’ai fait ce que j’ai pu,
Cet enfant sans parents, qu’elle dit qu’elle a vu.

JOSABETH.

Éliacin ?

MATHAN.

Éliacin ? J’en ai pour elle quelque honte :
D’un vain songe peut-être elle fait trop de compte.
Mais vous vous déclarez ses mortels ennemis,
Si cet enfant sur l’heure en mes mains n’est remis.
La reine impatiente attend votre réponse.

JOSABETH.

Et voilà de sa part la paix qu’on nous annonce !

MATHAN.

Pourriez-vous un moment douter de l’accepter ?
D’un peu de complaisance est-ce trop l’acheter ?

JOSABETH.

J’admirais si Mathan, dépouillant l’artifice,
Avait pu de son cœur surmonter l’injustice,
Et si de tant de maux le funeste inventeur
De quelque ombre de bien pouvait être l’auteur.

MATHAN.

De quoi vous plaignez-vous ? Vient-on avec furie
Arracher de vos bras votre fils Zacharie ?
Quel est cet autre enfant si cher à votre amour ?
Ce grand attachement me surprend à mon tour.
Est-ce un trésor pour vous si précieux, si rare ?
Est-ce un libérateur que le ciel vous prépare ?
Songez-y : vos refus pourraient me confirmer
Un bruit sourd que déjà l’on commence à semer.

JOSABETH.

Quel bruit ?

MATHAN.

Quel bruit ? Que cet enfant vient d’illustre origine ;
Qu’à quelque grand projet votre époux le destine.

JOSABETH.

Et Mathan, par ce bruit qui flatte sa fureur…

MATHAN.

Princesse, c’est à vous à me tirer d’erreur.
Je sais que, du mensonge implacable ennemie,
Josabeth livrerait même sa propre vie,
S’il fallait que sa vie à sa sincérité
Coûtât le moindre mot contre la vérité.
Du sort de cet enfant on n’a donc nulle trace ?
Une profonde nuit enveloppe sa race ?
Et vous-même ignorez de quels parents issu,
De quelles mains Joad en ses bras l’a reçu ?
Parlez, je vous écoute, et suis prêt à vous croire :
Au Dieu que vous servez, princesse, rendez gloire.

JOSABETH.

Méchant, c’est bien à vous d’oser ainsi nommer
Un Dieu que votre bouche enseigne à blasphémer !
Sa vérité par vous peut-elle être attestée,
Vous, malheureux, assis dans la chaire empestée,
Où le mensonge règne et répand son poison ;
Vous, nourri dans la fourbe et dans la trahison ?


Scène V.

JOAD, JOSABETH, MATHAN, NABAL.
JOAD.

Où suis-je ? de Baal ne vois-je pas le prêtre ?
Quoi ! fille de David, vous parlez à ce traître !
Vous souffrez qu’il vous parle ! et vous ne craignez pas
Que du fond de l’abîme entr’ouvert sous ses pas
Il ne sorte à l’instant des feux qui vous embrasent,
Ou qu’en tombant sur lui ces murs ne vous écrasent ?
Que veut-il ? de quel front cet ennemi de Dieu
Vient-il infecter l’air qu’on respire en ce lieu ?