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ANDROMAQUE

De cacher ma rivale à ses regards mourants !
1265Ah ! si du moins Oreste, en punissant son crime,
Lui laissoit le regret de mourir ma victime !
Va le trouver : dis-lui qu’il apprenne à l’ingrat
Qu’on l’immole à ma haine, et non pas à l’État.
Chère Cléone, cours. Ma vengeance est perdue
1270S’il ignore en mourant que c’est moi qui le tue[1].

CLÉONE.

Je vous obérai. Mais qu’est-ce que je voi ?
Ô Dieux ! Qui l’auroit cru, Madame ? C’est le Roi !

HERMIONE.

Ah ! cours après Oreste ; et dis-lui, ma Cléone,
Qu’il n’entreprenne rien sans revoir Hermione.


Scène V.

PYRRHUS, HERMIONE, PHŒNIX.
PYRRHUS.

1275Vous ne m’attendiez pas, Madame ; et je vois bien
Que mon abord ici trouble votre entretien.
Je ne viens point, armé d’un indigne artifice,
D’un voile d’équité couvrir mon injustice[2] :
Il suffit que mon cœur me condamne tout bas ;
1280Et je soutiendrois mal ce que je ne crois pas.
J’épouse une Troyenne. Oui, Madame, et j’avoue

  1. Voltaire a rapproché ces vers des vers 101-104 de Cinna (acte I, scène ii) :

    Sa perte, que je veux, me deviendroit amère,
    Si quelqu’un l’immoloit à d’autres qu’à mon père ;
    Et tu verrois mes pleurs couler pour son trépas,
    Qui le faisant périr, ne me vengeroit pas.

  2. · · · · · · · Neque ego hanc abscondere furto
    Speravi, ne finge, fugam · · · · · · · · · ·

    (Virgile, Énéide, livre IV, vers 337 et 338.)