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ANDROMAQUE

Je suivois mon devoir, et vous cédiez au vôtre.
1355Rien ne vous engageoit à m’aimer en effet.

HERMIONE.

Je ne t’ai point aimé, cruel ? Qu’ai-je donc fait ?
J’ai dédaigné pour toi les vœux de tous nos princes ;
Je t’ai cherché moi-même au fond de tes provinces ;
J’y suis encor, malgré tes infidélités,
1360Et malgré tous mes Grecs honteux de mes bontés.
Je leur ai commandé de cacher mon injure ;
J’attendois en secret le retour d’un parjure ;
J’ai cru que tôt ou tard, à ton devoir rendu,
Tu me rapporterois un cœur qui m’étoit dû.
1365Je t’aimois inconstant, qu’aurois-je fait fidèle ?
Et même en ce moment où ta bouche cruelle
Vient si tranquillement m’annoncer le trépas,
Ingrat, je doute encor si je ne t’aime pas.
Mais, Seigneur, s’il le faut, si le ciel en colère
1370Réserve à d’autres yeux la gloire de vous plaire,
Achevez votre hymen, j’y consens. Mais du moins
Ne forcez pas mes yeux d’en être les témoins.
Pour la dernière fois je vous parle peut-être :
Différez-le d’un jour ; demain vous serez maître[1].
1375Vous ne répondez point[2] ? Perfide, je le voi,
Tu comptes les moments que tu perds avec moi[3] !

  1. Ce délai que demande Hermione rappelle la prière que Didon charge sa sœur d’adresser à Énée :

    Non jam conjugium antiquum, quod prodidit, oro…
    Tempus inane peto, requiem spatiumque furori.

    (Virgile, Énéide, livre IV, vers 431-433.)
  2. Au lieu du point d’interrogation, les éditions de 1668 et de 1673 ont ici un simple point.
  3. Ce vers et les suivants jusqu’à la fin de la scène ressemblent trop à un passage de la Médée d’Euripide pour que la rencontre soit fortuite. Voici les paroles que Médée adresse à Jason :

    Χώρει· πόθῳ γὰρ τῆς νεοδμήτου ϰόρης