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ACTE II, SCÈNE V.
PYRRHUS.

Mais laissez-la, Seigneur.Je vois ce qui la flatte.
Sa beauté la rassure ; et malgré mon courroux,
660L’orgueilleuse m’attend encore à ses genoux.
Je la verrois aux miens, Phœnix, d’un œil tranquille.
Elle est veuve d’Hector, et je suis fils d’Achille :
Trop de haine sépare Andromaque et Pyrrhus.

PHŒNIX.

Commencez donc, Seigneur, à ne m’en parler plus[1].
665Allez voir Hermione ; et content de lui plaire,
Oubliez à ses pieds jusqu’à votre colère.
Vous-même à cet hymen venez la disposer.
Est-ce sur un rival qu’il s’en faut reposer ?
Il ne l’aime que trop.

PYRRHUS.

Il ne l’aime que trop.Crois-tu, si je l’épouse,
670Qu’Andromaque en son cœur n’en sera pas jalouse[2] ?

  1. Racine, qui avait longtemps fait ses délices des poésies d’Ovide, a peut-être ici mis à profit le souvenir de ces vers du poëte latin (Remedia amoris, vers 647 et 648), que Louis Racine rappelle à propos en cet endroit :

    Et malim taceas, quam te desisse loquaris.

    Qui nimium multis : « Non amo » dicit, amat.
  2. Var. Qu’Andromaque en secret n’en sera pas jalouse ? (1668-76) — « M. Despréaux, dit le Bolæana (p. 39), frondoit cette scène où M. Racine fait dire par Pyrrhus à son confident :

    · · · · · · · · · · · · · Crois-tu, si je l’épouse,
    Qu’Andromaque en son cœur n’en sera pas jalouse ?


    Sentiment puéril qui revient à celui de Perse (Satire V, vers 168) :

    Censen’ plorabit, Dave, relicta ? »


    Brossette atteste aussi ce jugement sévère de Boileau, qui avait remarqué, dit-il, que les spectateurs ne manquaient jamais de sourire en cet endroit. L’abbé du Bos (Réflexions critiques, Ire partie, section xviii) va plus loin, trop loin sans doute. Il dit qu’à la représentation de cette scène « le parterre rit presque aussi haut qu’à une scène de comédie. » Racine, que ce soit un sujet de reproche ou de louange, paraît certainement ici l’émule de Térence. Jean-Baptiste Rousseau écrivait à Brossette « qu’il avait toujours condamné cette scène en l’admirant, parce que, quelque belle qu’elle soit, elle est plutôt dans le genre comique ennobli que dans le genre tragique. »