Page:Racine - Œuvres, t2, éd. Mesnard, 1865.djvu/99

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
87
ACTE III, SCÈNE VI.

Pardonnez à l’éclat d’une illustre fortune
Ce reste de fierté qui craint d’être importune.
915Vous ne l’ignorez pas : Andromaque sans vous
N’auroit jamais d’un maître embrassé les genoux[1].

PYRRHUS.

Non, vous me haïssez ; et dans le fond de l’âme
Vous craignez de devoir quelque chose à ma flamme.
Ce fils même, ce fils, l’objet de tant de soins,
920Si je l’avois sauvé, vous l’en aimeriez moins.
La haine, le mépris, contre moi tout s’assemble ;
Vous me haïssez plus que tous les Grecs ensemble.
Jouissez à loisir d’un si noble courroux.
Allons, Phœnix.

ANDROMAQUE.

Allons, Phœnix.Allons rejoindre mon époux.

CÉPHISE.

Madame…

ANDROMAQUE.

925Madame…Et que veux-tu que je lui dise encore ?
Auteur de tous mes maux, crois-tu qu’il les ignore ?
Seigneur, voyez l’état où vous me réduisez.
J’ai vu mon père mort, et nos murs embrasés ;
J’ai vu trancher les jours de ma famille entière,
930Et mon époux sanglant traîné sur la poussière,
Son fils seul avec moi, réservé pour les fers.
Mais que ne peut un fils ? Je respire, je sers[2].
J’ai fait plus : je me suis quelquefois consolée

  1. · · · · · · · Ad genua accido
    Supplex, Ulysse, quamque nullius pedes
    Novere dextram, pedibus admoveo tuis.

    (Troyennes de Sénèque, vers 692-694.)
  2. · · · · Σφαγὰς μὲν Ἕκτορος τροχηλάτους
    Κατεῖδον οἰκτρῶς τ' Ἴλιον πυρούμενον,
    Αὐτὴ δὲ δούλη ναῦς ἐπ' Ἀργείων ἔϐην.
    · · · · · Φονεῦσιν Ἕκτορος νυμφεύομαι.

    (Andromaque d’Euripide, vers 400-404.)