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PRÉFACE.

le vice y est peint partout avec des couleurs qui en font connoître et haïr la difformité. C’est là proprement le but que tout homme qui travaille pour le public doit se proposer ; et c’est ce que les premiers poëtes tragiques avoient en vue sur toute chose. Leur théâtre étoit une école où la vertu n’étoit pas moins bien enseignée que dans les écoles des philosophes. Aussi Aristote a bien voulu donner des règles du poëme dramatique ; et Socrate, le plus sage des philosophes, ne dédaignoit pas de mettre la main aux tragédies d’Euripide [1]. Il seroit à souhaiter que nos ouvrages fussent aussi solides et aussi pleins d’utiles instructions que ceux de ces poëtes. Ce seroit peut-être un moyen de réconcilier la tragédie avec quantité de personnes, célèbres par leur piété et par leur doctrine, qui l’ont condamnée dans ces derniers temps [2], et qui en jugeroient sans doute plus favorablement, si les auteurs songeoient autant à instruire leurs spectateurs qu’à les divertir, et s’ils suivoient en cela la véritable intention de la tragédie.

  1. Diogène de Laerte, au commencement de son chapitre sur Socrate (Ve du livre II), rapporte, en citant à l’appui divers témoignages, que le philosophe passait pour aider le poëte.
  2. Voyez, en tête de la tragédie d’Attila, antérieure à Phèdre de dix ans, une courte réponse de Corneille (tome VII des Œuvres, p. 105) « aux invectives, comme il les appelle, qu’on a publiées depuis quelque temps contre la Comédie. » Voyez en outre ce que M. Marty-Laveaux dit, en note (même page 105), des deux Traités de la Comédie de Nicole et du prince de Conti, dont le premier parut en 1659 et fut réimprimé dans les Essais de morale (tome III), et dont le second fut publié en 1667.