Page:Racine - Œuvres, t3, éd. Mesnard, 1865.djvu/562

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le 15 novembre 1690, à une dame dont le nom est désigné par l’initiale D*** : « Aujourd’hui.... j’ai passé une grande partie du jour chez M. le marquis de Chandenier[1].... M. Racine y a bien voulu réciter quelques scènes de son Athalie ; et dans le vrai, rien n’est plus grand ni plus parfait. Des personnes de bon goût me l’avoient fort vantée, mais on ne peut mettre de la proportion entre le mérite de cette pièce et les louanges ; le courage de l’auteur est encore plus digne d’admiration que sa lumière, sa délicatesse et son inimitable talent pour les vers. L’Écriture y brille partout, et d’une manière à se faire respecter par ceux qui ne respectent rien. C’est partout la Vérité qui touche et qui plaît ; c’est elle qui attendrit et qui arrache les larmes de ceux mêmes qui s’appliquent à les retenir. On est encore plus instruit que remué, mais on est remué jusqu’à ne pouvoir dissimuler les mouvements de son cœur. Comme je sais que vous aimez M. Racine, et que je l’aime avec la même tendresse, je n’ai pu retenir en votre présence les sentiments que je voudrois vous inspirer, si vous ne les aviez déjà. » Qui n’eût pensé alors, parmi les premiers auditeurs d’Athalie, que son succès égalerait, surpasserait peut-être, celui d’Esther ? Il n’en fut rien, parce que les circonstances furent moins favorables. Non-seulement l’œuvre du poëte ne fut pas, cette fois, soutenue par les allusions flatteuses qui avaient tant contribué à faire goûter la première de ses pièces saintes, mais la maison de Saint-Cyr, ayant été sévèrement blâmée pour ses divertissements mondains, ne pouvait plus offrir à Racine qu’un


    en 1735. Le passage de la lettre xxxive, que nous citons, y est aux pages 347-349.

  1. François de Rochechouart, marquis de Chandenier, baron de la Tour. Saint-Simon parle de lui comme d’un homme « plein d’honneur, d’esprit et de courage..., de beaucoup de goût et d’excellente compagnie, et qui avoit beaucoup vu et lu ; il fut longtemps avant sa mort dans une grande piété. » (Mémoires, tome I, p. 348 et 349.) Saint-Simon dit au même passage qu’il avait « vu plusieurs fois M. de Chandenier, avec un vrai respect, à Sainte-Geneviève, dans la plus simple, mais la plus jolie retraite, qu’il s’y étoit faite, et où il mourut. » Le marquis de Chandenier avait près de quatre-vingts ans, et était déjà sans doute dans sa retraite de Sainte-Geneviève quand Racine fit chez lui la lecture de son Athalie.