Page:Racine - Œuvres, tome 1, 1679.djvu/202

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Oreste

Vous le croyez.Hé quoy ? Ce courroux enflammé
Contre un Ingrat…

Pylade

Contre un IngratJamais il ne fut plus aimé.
Penſez-vous, quand Pyrrhus vous l’auroit accordée,
Qu'un prétexte tout preſt ne l'euſt pas retardée ?
M’en croirez-vous ? Laſſé de ſes trompeurs attraits,
Au lieu de l’enlever, fuyez-la pour jamais.
Quoy ? Voſtre amuar ſe veut charger d’une Furie
Qui vous déteſtera, qui toute voſtre vie
Regrettant un hymen tout preſt à s’achever,
Voudra…

Oreste

VoudraC’eſt pour cela que je veux l’enlever.
Tout luy riroit, Pylade, & moy, pour mon partage,
Je n’emporterois donc qu’une inutile rage ?
J’irois loin d’elle encor, taſcher de l’oublier ?
Non, non, à mes tourmens je veux l’aſſocier.
C’eſt trop gemir tout ſeul. Je ſuis las qu’on me plaigne.
Je prétens qu’à mon tour l’Inhumaine me craigne,
Et que ſes Yeux cruels à pleurer condannez,
Me rendent tous les noms, que je leur ay donnez.

Pylade

Voila donc le ſuccez qu’aura voſtre Ambaſſade.
Oreſte raviſſeur.

Oreste

Oreſte raviſſeur.Et qu’importe, Pylade ?
Quand nos Eſtats vangez jouiront de mes ſoins,
L’Ingrate de mes pleurs jouïra-t’elle moins ?
Et que me ſervira que la Gréce m’admire,
Tandis que je ſeray la fable de l’Epire ?
Que veux-tu ? Mais s’il faut ne te rien déguiſer
Mon innocence enfin commence à me peſer.