Page:Racine - Œuvres, tome 1, 1679.djvu/237

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Avez-vous pû, Cruels, l’immoler aujourd’huy,
Sans que tout voſtre ſang ſe ſoûlevaſt pour luy ?
Mais parle. De ſon ſort qui t’a rendu l’arbitre ?
Pourquoi l’aſſaſſiner ? Qu’a-t'il fait ? A quel titre ?
Qui te l’a dit ?

Oreste

Qui te l’a dit ?O dieux ! Quoy ne m’avez-vous pas
Vous-meſme, icy, tantoſt, ordonné ſon trépas ?

Hermione

Ah ! Falloit-il en croire une Amante inſenſée ?
Ne devois-tu pas lire au fonds de ma penſée ?
Et ne voyois-tu pas dans mes emportemens,
Que mon cœur démentoit ma bouche à tous momens ?
Quand je l’aurois voulu, falloit-il y ſouscrire ?
N’as-tu pas dû cent fois te le faire redire,
Toy-meſme avant le coup me venir conſulter,
Y revenir encore, ou plutoſt m’éviter ?
Que ne me laiſſais-tu le ſoin de ma vengeance ?
Qui t’ameine en des lieux où l’on fuit ta preſence ?
Voilà de ton amour le deteſtable fruit.
Tu l’apportois, Cruel, le mal-heur qui te ſuit.
C’eſt toy dont l’ambaſſade à tous les deux fatale,
L’a fait pour ſon mal-heur pancher vers ma Rivale;
Nous le verrions encor nous partager ſes ſoins,
Il m’aimeroit peut-eſtre, il le feindroit du moins.
Adieu. Tu peux partir. Je demeure en Epire,
Je renonce à la Grece, à Sparte, à ſon Empire,
A toute ma Famille. Et c’eſt aſſez pour moy,
Traiſtre, qu’elle ait produit un monſtre comme toy.