Page:Racine - Œuvres, tome 1, 1679.djvu/255

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Toûjours la tyrannie a d’heureuſes prémices.
De Rome pour un temps Caius fut les délices,
Mais ſa feinte bonté ſe tournant en fureur,
Les délices de Rome en devinrent l’horreur.
Que m’importe, apres tout, que Neron plus fidele
D’une longue vertu laiſſe un jour le modele ?
Ay-je mis dans ſa main le Timon de l’Eſtat
Pour le conduire au gré du Peuple & du Senat ?
Ah ! Que de la Patrie il ſoit s’il veut le Pere.
Mais qu’il ſonge un peu plus, qu’Agrippine eſt ſa mere.
De quel nom cependant pouvons nous appeler
L’attentat que le jour vient de nous reveler ?
Il ſçait, car leur amour ne peut eſtre ignorée,
Que de Britannicus Junie eſt adorée,
Et ce meſme Neron que la vertu conduit,
Fait enlever Junie au milieu de la nuit.
Que veut-il ? Eſt-ce haine, eſt-ce amour qui l’inſpire ?
Cherche-t-il ſeulement le plaiſir de leur nuire ?
Ou plûtoſt n’eſt-ce point que ſa malignité
Punit ſur eux l’appuy que je leur ay preſté ?

ALBINE.

Vous leur appuy, Madame ?

AGRIPPINE.

Arreſte, chere Albine,
Je ſçay, que j’ay moy ſeule avancé leur ruine,
Que du Trône, où le ſang l’a dû faire monter
Britannicus par moy s’eſt veu précipiter.
Par moy ſeule éloigné de l’Hymen d’Octavie
Le frere de Junie abandonna la vie,
Silanus, ſur qui Claude avoit jetté les yeux,
Et qui contoit Auguſte au rang de ſes ayeux.

Neron joüit de tout, & moy pour recompenſe
Il faut qu’entre eux & luy je tienne la balance,
Afin que quelque jour par une meſme loy
Britannicus la tienne entre mon fils & moy.