Page:Racine - Œuvres, tome 1, 1679.djvu/27

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
7
TRAGEDIE.

Et pour vous élever au comble de la joye ;
Il faut à ſa fureur que je me livre en proye,
Il faut par mon trépas....

IOCASTE.

Il faut par mon trépas.… Ah Ciel ! quelle rigueur !
Que vous penetrez mal dans le fonds de mon cœur !
Je ne demande pas que vous quittiez l’Empire.
Regnez toûjours, mon Fils, c’eſt ce que je deſire.
Mais ſi tant de mal-heurs vous touchent de pitié,
Si pour moy voſtre cœur garde quelque amitié ;
Et ſi vous prenez ſoin de voſtre gloire meſme,
Aſſociez un Frere à cet honneur ſupréme ;
Ce n’eſt qu’un vain éclat qu’il recevra de vous,
Voſtre regne en ſera plus puiſſant & plus doux.
Les Peuples admirant cette vertu ſublime,
Voudront toûjours pour Prince un Roy ſi magnanime,
Et cét illuſtre effort, loin d’affoiblir vos droits,
Vous rendra le plus juſte & le plus grand des Rois.
Ou s’il faut que mes vœux vous trouvent inflexible,
Si la Paix à ce prix vous paroiſt impoſſible,
Et ſi le Diadême a pour vous tant d’attraits,
Au moins conſolez moy de quelque heure de paix.
Accordez quelque tréve à ma douleur amere,
Et cependant, mon Fils, j’iray voir voſtre Frere.
La pitié dans ſon ame aura peut-eſtre lieu,
Ou du moins pour jamais j’iray luy dire adieu.
Dés ce meſme moment permettez que je ſorte,
J’iray juſqu’à ſa tente, & j’iray ſans eſcorte,
Dans cette occaſion rien ne peut m’émouvoir.

ETEOCLE.

Madame, ſans ſortir vous le pouvez revoir.
Et ſi cette entreveuë à pour vous tant de charmes,
Il ne tiendra qu’à luy de ſuſpendre nos armes,
Vous pouvez dés cette heure accomplir vos ſouhaits
Et le faire venir juſques dans ce Palais.