Page:Racine - Œuvres, tome 1, 1679.djvu/270

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Qui dés qu’à ſes regards elle oſe ſe fier
Sur le cœur de Ceſar ne les vienne eſſayer :
Seule dans ſon Palais la modeſte Junie
Regarde leurs honneurs comme une ignominie,
Fuit, & ne daigne pas peut-eſtre s’informer
Si Ceſar eſt aimable, ou bien s’il ſçait aimer ?
Dy moy : Britannicus l’aime-t-il ?

NARCISSE.

Quoy s’il l’aime,
Seigneur ?

NERON.

Si jeune encor ſe connoiſt-il luy même ?
D’un regard enchanteur connoiſt-il le poiſon ?

NARCISSE.

Seigneur, l’amour toûjours n’attend pas la raiſon.
N’en doutez point, il l’aime. Inſtruits par tant de charmes
Ses yeux ſont déja faits à l’uſage des larmes.
A ſes moindres deſirs il ſçait s’accommoder,
Et peut-eſtre déja ſçait-il perſuader.

NERON.

Que dis-tu ? Sur ſon cœur il auroit quelque empire ?

NARCISSE.

Je ne ſçay. Mais, Seigneur, ce que je puis vous dire,
Je l’ay veû quelquefois s’arracher de ces lieux,
Le cœur plein d’ữ courroux qu’il cachoit à vos yeux,
D’une Cour qui le fuit pleurant l’ingratitude,
Las de voſtre grandeur, & de ſa ſervitude,
Entre l’impatience & la crainte flottant ;
Il alloit voir Junie, & revenoit contant.

NERON.

D’autant plus malheureux qu’il aura ſçû luy plaire,
Narciſſe, il doit plûtoſt ſouhaiter ſa colere.