Page:Racine - Œuvres, tome 1, 1679.djvu/309

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Ces Vangeurs trouveront de nouveaux Défenſeurs,
Qui meſme apres leur mort auront des Succeſſeurs.
Vous allumez un feu qui ne pourra s’éteindre.
Craint de tout l’Univers il vous faudra tout craindre,
Toûjours punir, toûjours trembler dans vos projets,
Et pour vos ennemis compter tous vos ſujets.
Ah ! de vos premiers ans l’heureuſe experience
Vous fait elle, Seigneur, haïr voſtre innocence ?
Songez-vous au bon-heur qui les a ſignalez ?
Dans quel repos, ô Ciel ! les avez-vous coulez !
Quel plaiſir de penſer & de dire en vous-même,
Par tout, en ce moment, on me benit, on m’aime.
On ne voit point le Peuple à mon nom s’allarmer,
Le Ciel dans tous leurs pleurs ne m’entend point nommer.
Leur ſombre inimitié ne fuit point mon viſage,
Je voy voler par tout les cœurs à mon paſſage !
Tels eſtoient vos plaiſirs. Quel changement, ô Dieux !
Le ſang le plus abject vous eſtoit precieux.
Un jour, il m’en ſouvient, le Senat équitable
Vous preſſoit de ſouſcrire à la mort d’un Coupable.
Vous reſiſtiez, Seigneur, à leur ſeverité,
Voſtre cœur s’accuſoit de trop de cruauté,
Et plaignant les mal-heurs attachez à l’Empire,
Je voudrois, diſiez-vous, ne ſçavoir pas écrire.
Non, ou vous me croirez, ou bien de ce mal-heur
Ma mort m’épargnera la veuë & la douleur.
On ne me verra point ſurvivre à voſtre gloire.
Si vous allez commettre une action ſi noire,
Il ſe jette à genoux.
Me voilà preſt, Seigneur. Avant que de partir,
Faites percer ce cœur qui n’y peut conſentir.
Appellez les cruels qui vous l’ont inſpirée,
Qu’ils viennent eſſayer leur main mal aſſurée.