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TRAGEDIE.


CREON.

Je ſçay ce qui le rend innocent à vos yeux.

ANTIGONE.

Et je ſçay quel ſujet vous le rend odieux.

CREON.

L’amour a d’autres yeux que le commun des hommes.

IOCASTE.

Vous abuſez, Creon, de l’eſtat où nous ſommes,
Tout vous ſẽble permis, mais craignez mon courroux,
Vos libertez enfin retomberoient ſur vous.

ANTIGONE.

L’intereſt du public agit peu ſur ſon ame,
Et l’amour du païs nous cache une autre flamme.
Je la ſçay ; mais, Creon, j’en abhorre le cours,
Et vous ferez bien mieux de la cacher toûjours.

CREON.

Je le feray, Madame, & je veux par avance,
Vous épargner encor juſques à ma preſence.
Auſſi bien mes devoirs redoublent vos mépris,
Et je vais faire place à ce bien-heureux Fils.
Le Roy m’appelle ailleurs, il faut que j’obeïſſe.
Adieu, faites venir Hemon & Polinice.

IOCASTE.

N’en doute pas, méchant, ils vont venir tous deux,
Tous deux ils previendront tes deſſeins malheureux.