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ANDROMAQVE

Ses charmes iuſque-là n’avoient pû le toucher.
Le Cruel ne la prend que pour me l’arracher.
Ah Dieux ! c’en eſtoit fait. Hermionne gagnée
Pour iamais de ſa veuë alloit eſtre éloignée.
Son cœur entre l’amour & le dépit confus.
Pour ſe donner à moy n’attendoit qu’vn refus,
Ses yeux s’ouuroient, Pylade. Elle écoutoit Oreſte,
Luy parloit, le plaignoit. Vn mot euſt fait le reſte.

PYLADE.

Vous le croyez.

ORESTE.

Vous le croyez.Hé quoy ? ce courroux enflammé
Contre vn Ingrat…

PYLADE.

Contre vn Ingrat…Iamais il ne fut plus aimé.
Penſez-vous, quand Pyrrhus vous l’auroit accordée,
Qu’vn prétexte tout preſt ne l’euſt pas retardée ?
M’en croirez-vous ? Laſſé de ſes trompeurs attraits,
Au lieu de l’enleuer, Seigneur, ie la fuirais.
Quoy ? Voſtre amour ſe veut charger d’vne Furie
Qui vous déteſtera, qui toute voſtre vie
Regrettant vn hymen tout preſt à s’acheuer,
Voudra…

ORESTE.

Voudra…C’eſt pour cela que ie veux l’enleuer.
Tout luy riroit, Pylade, & moy, pour mon partage,
Ie n’emporterois donc qu’vne inutile rage ?
I’irois loin d’elle encor, taſcher de l’oublier ?
Non, non, à mes tourmens ie veux l’aſſocier.
C’eſt trop gémir tout ſeul. Ie ſuis las qu’on me plaigne.
Ie prétens qu’à mon tour l’Inhumaine me craigne,